Proteus ou pas, je vous ordonne de lire ces lignes! Vous pensez que je suis en proie à une mégalomanie excessive ? Que je plonge dans un état de frustation avancée à la seule pensée qu'un honorable lecteur puisse sauter ce modeste papier ? Que nenni ! Mais alors, qu'est-ce ? Le dernier des Synthworks bien sûr. L'éditeur bibliothécaire le plus abouti que j'aie jamais rencontré à ce jour. Synthèse d'un coup de foudre...
A l'aube naissante et blêmissante des premiers synthétiseurs numériques, qui n'a pas crié au génie quant au remplacement d'innombrables potentiomètres par quelques élégants « data entry » et leur LCD ?
Mais si l'esthétique dépouillée d'une machine est une mode, son accessibilité est un besoin. En attendant que les constructeurs en prennent conscience, le remède le plus radical reste l'acquisition d'un éditeur de son.
Vous bénéficierez ainsi de toute la puissance d'un micro-ordinateur au service de la création. Dans le cas contraire, à moins d'être un allumé du switch ou d'investir dans un supplément hard (série PG Roland, Fader Master...) adieu les plaisirs vivifiants de la programmation. Vous me rétorquerez que c'est un passe-temps bien futile puisque le cours du son est en chute libre pour cause de saturation du marché, et que vos bas de laine en sont truffés.
Certes, mais la valeur personnelle (ô combien subjective) d'une banque de sons résulte d'un laborieux travail d'organisation et de tri. Avec un bon logiciel bibliothécaire, adieu l'inutilisable « son en vrac » ! Ce sont là deux des raisons d'être du Synthworks Proteus/Proteus XR, qui répond aux pires exigences en matière d'édition et de classement.
Voici donc venir le dernier né de la famille Synthworks, une famille royale dont les générations se succèdent à un rythme effréné pour atteindre ici la perfection. Le tout programmé d'octet de maître par le génial Philippe Goulier, qui planche actuellement sur le cas du SY77 Yamaha. Poussez pas, y'en aura pour tout le monde…
J'incrémente, je décrémente
Au début était l'édition de paramètres assistée par ordinateur. Je clique à droite, j'augmente d'une unité, je clique à gauche, je diminue d'une unité. Et vous passez combien de jours à transformer un 0 en 127 ? Moralité, des fonctions d'édition performantes et nombreuses, c'est bien, mais si elles sont hyper-rapides à mettre en oeuvre, c'est mieux.
Le premier volet de Synthworks Proteus abonde dans cette direction, et traite en totalité l'émulation des paramètres de l'expandeur. Pour mieux vous servir, l'écran d'édition reflète graphiquement l'architecture sonore du Proteus.
Cette représentation synoptique centralise les « organes vitaux » auxquels viennent se greffer (par des lignes visibles ou invisibles), les diverses sources de modulation du signal. Ces lignes se programment en cliquant sur les origines et destinations, et s'effacent à l'aide d'un pointeur « ciseaux ». Vive la programmation orientée objet.
Cette aide graphique est tellement pédagogique qu'il devient inutile de lire le mode d'emploi du Proteus pour en comprendre le fonctionnement. Mais au fait, comment en modifie t-on les paramètres numériques ? Installez-vous bien confortablement, et accrochez-vous à la souris, on décolle.
L'édition maximum
Les modes d'édition font appel à la souris, au clavier, et au MIDI. Avec la souris, c'est à vous de décider, si c'est le bouton droit qui augmentera une valeur (et le gauche qui la diminuera), ou vice versa. Si vous pointez et cliquez un paramètre, il se décrémentera ou s'incrémentera d'une unité.
Enfoncez simultanément la touche Shift pour obtenir un effet identique, mais par bonds de 10 unités (et même de 12 pour l'accordage, c'est logique non ?). En maintenant pressé l'un des boutons tout en cliquant sur l'autre, le paramètre atteindra sa valeur maximum (ou minimum). En mode position, et selon que vous pointerez à l'écran sur le côté gauche ou droit du paramètre, ce dernier se modifiera par pas de 1 ou de 10 (ça marche aussi avec les flèches haut et bas).
En mode « slider », la souris a l’âme d’un potentiomètre virtuel. Après avoir cliqué sur un paramètre, maintenez-le en bouton enfoncé, et déplacez la horizontalement (ou verticalement selon l'option choisie). Toute l'étendue des valeurs sera alors balayée plus ou moins rapidement selon qu'il s'agira du bouton droit ou gauche.
Le premier des deux modes de la série clavier est d'une rare évidence. Cliquez sur une zone pour qu'elle se « vidéo-inverse », tapez la valeur, pressez return. That's all ! Mais vous ne trouvez pas ça horripilant ce return ? Si ? Alors réglez un délai de clavier approprié à votre dextérité, ou rapidité de saisie. Premier caractère, vous devrez rentrer le suivant dans un intervalle de temps inférieur à ce délai imparti, et ainsi de suite.
Dans le cas contraire, le ou les caractères saisis seront considérés comme tels. C'est le return automatique temporisé ! Comment ? Vous n'êtes pas encore parti harceler votre revendeur pour qu'il vous cède Synthworks Proteus ? Alors on breake le temps d'un intertitre, et on enchaîne...
Un contrôleur quatre étoiles
Vous possédez un instrument capable d'émettre des codes MIDI de control change (modulation, volume... ) ? Tant mieux ! Le changement de position d’un contrôleur spécifique (ou au choix de n'importe quel d'entre eux), est en mesure de modifier en absolu ou en relatif la valeur d'un paramètre préalablement sélectionné à la souris.
Encore plus fort et sans la souris, 16 cartes d'assignation permettent chacune d'associer 16 paramètres d'édition du Proteus à 16 contrôleurs MIDI. Nul besoin d'en saisir le nom et le canal, faites-les juste bouger : Synthworks est doué de facultés d'apprentissage. Pas bête le petit !
La puissance d'édition des enveloppes est à l'avenant. Elles se modifient graphiquement, avec en prime des formes présélectionnées, une compression/expansion, une indication de durée en secondes, SMPTE, Song Position, un affichage rétroactif (de la forme initiale avant édition), et une fonction Undo. Ouf, c'est fini !
C'est plus long à expliquer qu'à pratiquer. J'en profite pour émettre un embryon d'update : pourquoi, en plus de 16 contrôleurs MIDI, ne pas se servir de la série PG Roland pour piloter l’édition ?
Le feedback auditif des sons sur lesquels on travaille est l'indispensable complément d'un écran d'édition. C'est pourquoi conjointement à une pression sur Control, les touches de fonctions F1 à F9 émettront les notes C1 , C3 et C5, aux vélocités 0, 64 et 127. La touche F10 mémorisera un accord de 1 (?) à 8 notes programmé par vos soins, et par ailleurs déclenchable à la souris.
A l'aide de cette souris, vous pourrez aussi jouer d'un clavier virtuel 88 notes, dont le déplacement vertical à l'écran influera sur la vélocité'. C'est encore la souris qu'il faudra utiliser pour générer des codes de pitchbend, d'aftertouch, et de modulation (déplacement droite/gauche, vers la bas, vers la haut).
Enfin, n'oubliez pas le séquenceur intégré, compatible MIDIfiles/Pattern Pro 24, et d'une résolution de 96 à la noire pour une polyphonie illimitée. De plus, il tourne en tâche de fond !!! Qu'est-ce à dire ? Tout simplement qu'il boucle tranquillement un motif, sans vous empêcher pendant ce temps de manipuler Synthworks (opérations disquette comprises).
En dernier lieu, vous pourrez toujours jouer un son de votre clavier via la fonction MIDI THRU/ Rechannelize. Malgré la puissance de l'édition, il arrive parfois de s’égarer, et de se retrouver avec un son moins bon qu'au départ. C'est pourquoi Synthworks vous offre quatre buffers afin d'y stocker soit quatre sons différents, soit quatre versions intermédiaires du travail en cours. C'est la politique du « trial and error », facilitée !
In the mix
Petit précis de multitimbralité à l'attention des non-Proteistes : généralement, sur une machine multitimbrale « X » voies, on définit pour chacune d'entre elles un certain nombre de réglages, canal MIDI en tête. Le Proteus tire profit d'un même nombre de voies multitimbrales que de canaux MIDI, pour inverser le procédé. Plutôt que d'affecter un canal à chaque son, il affecte un (ou plusieurs) son(s) à chaque canal. Synthworks traite l'ensemble de ces paramètres sous la forme avantageuse d'une superbe console de mixage. Faders, panoramiques, mutes, solos... c'est l'ergonomie maximum. Il nous reste encore à passer en revue trois souspages d'édition.
Celle de la table de correspondance des numéros de changement de programme vers les numéros de presets (sur laquelle il n'y a pas grand chose à dire), celle des gammes microtonales, et celle du mapping des instruments de batterie. Les gammes microtonales, vous le savez sans doute, accordent un instrument suivant le tempérament de votre choix. Les outils à votre disposition ne déparent pas le reste du logiciel. Division d'une octave en un certain nombre d'intervalles, incrémentation automatique note à note (facteur additif ou multiplicateur), stretching (les notes les plus hautes le deviennent un peu plus), fonction reverse, légère fluctuation aléatoire... L'ensemble agissant sur tout ou partie des 128 notes MIDI (range, touches blanches, touches noires).
Enfin, le mapping des instruments de batterie fonctionne à l'identique et pourra être transféré vers Cubase (« pass drum kit »). Avec le paragraphe suivant, les allergiques de la programmation risquent de réviser leur position...
Génération spontanée
La création automatique de sons n'a rien d’un futile gadget dès l'instant où l'aléatoire est suffisamment maîtrisé pour donner lieu à un résultat audible. La « quadratic mixture » est la plus intuitive des fonctions de Synthworks. Il suffit de cliquer à l'intérieur d'un carré graphique dont les quatre coins représentent quatre sons préalablement sélectionnés.
Le mixage résultant sera fonction de la position en question. Plus vous cliquerez près d'un angle et plus le son correspondant influera sur le résultat. Plus vous cliquerez au centre et plus le mixage incorporera les quatre sons initiaux en proportions égales. Avec la fonction « puzzle creation » vous fabriquerez un son de toutes pièces en piochant des morceaux ici et là. Synthworks définit lui-même ce concept de morceaux en regroupant pertinemment les paramètres d'édition par familles (oscillateurs, filtre, etc).
Chaque famille s'affiche à l'écran sous forme d'une case symbolisant la destination d'une opération de copie. Il convient alors d'en définir la source en sélectionnant un son à l'intérieur de votre librairie.
Si vous le désirez, répétez, l'opération case après case pour obtenir un puzzle complet. Une option automatique créera 1 ou 16 sons après le même principe, à partir de ceux contenus dans la « vue » courante de la librairie (voir plus loin). La génération aléatoire « sound processor » s'attaque avec précision à tous les paramètres du Proteus. Pour chacun d'eux, choisissez la plage de modification en pourcentage ou en valeur absolue (de 0 à 1 00), un seuil en dessous duquel l'effet sera nul, et une éventuelle quantification des nombres générés (par exemple, les multiples de 12 pour la tranposition).
Vous pourrez même influencer l'aléatoire pour qu'il tombe plus fréquemment sur certaines parties de la plage sélectionnée, et ce grâce au dessin d'une courbe, un peu comme pour la modification en réponse de la vélocité du Proteus. Grâce à la fonction « range », seule une valeur générée tombant dans une certaine fourchette sera prise en considération.
Pour finir, chaque paramètre pourra se voir attribuer jusqu'à 7 valeurs parmi lesquelles Synthworks ira piocher, en lieu et place de ceux créés aléatoirement. Bien entendu, l'ensemble de ces réglages se sauvegarde sur disquette, sous le nom de « processor ».
View panoramique
Second volet du Synthworks Proteus, la page librairie. L'écran est divisé en 3 fenêtres actives simultanément. Leur vitesse de défilement est jusqu'à 85 fois plus rapide que celle de GEM, relégué pour l'occasion au fin fond des oubliettes graphiques. On découvre de gauche à droite le contenu de l'une des banques du Proteus (64 sons), une vue panoramique sur la librairie, et les fameux critères de recherche sémantique.
Le concept de librairie nécessite quelques explications. Imaginez une base de données de taille variable (limitée par la RAM de votre ST), traitant quatre catégories d'entités : banques, sons (presets), performances (gestion multitimbrale...), et gammes microtonales. Je passe rapidement sur les fonctions de copie, d'effacement... sur les manipulations orientées objet (cliquer et tirer les icônes Proteus, poubelle, imprimante, disk, buffers... ), sur le classement alphabétique, et sur la détection de doublons (d'après les paramètres et non sur le nom!).
Fer de lance de la page librairie, la sélection d'entités, qui s'effectue à l'aide de ce que Synthworks appelle une « view ». Cette terminologie se rapporte à l'extraction de certaines de ces entités selon des critères bien précis.
Plaisirs sémantiques
Les critères d'extraction (cumulables) sont carrément décoiffants. L'aspect sémantique de la chose consiste à attribuer à une entité jusqu'à huit caractéristiques (cuivres, cordes, métalliques...). Cela demandera un effort préalable de votre part, puisqu'il faudra décider à quelle(s) famille(s) appartient chaque nouveau son. Mais quel gain de temps par la suite.
D'autres critères d'extraction sont à votre disposition, comme une date de stockage, un commentaire, certaines lettres du nom, et surtout des paramètres du Proteus. Ainsi, vous pourrez aller chercher tous les sons qui utilisent tel ou tel échantillon, ou dont l'attaque est supérieure à une valeur « y », etc. Que vous dire d'autre ? Qu'on peut très bien retirer ou ajouter le contenu d'une view à celui de la précédente (plus bufferisation de trois d'entre elles), qu'un son utilisé par plusieurs banques n'est stocké qu'une seule fois (relation neuronale), qu'il est possible d'assigner différents critères de recherche aux touches de fonction, et qu'il est impossible de tout raconter en si peu de place.
Goodies
Quand il était petit, Philippe Gautier a dû tomber dans la marmite de programmation magique du druide hexadécimal. Et l'hexadécimal nous mène le plus naturellement du monde à la sauvegarde des codes sysex (stockage sur disquette de toutes les formes de dump du Proteus).
Quatre formats sont à votre disposition : MIDifiles, pattern Pro24, « pure sysex » et « program file ». Un « program file » c'est encore plus fort que fort: il s'agit d'un fichier programme (tiens donc) et de son extension PRG. Double cliquons-le sauvagement, et le dump correspondant sera directement envoyé au Proteus, sans l'aide externe d'aucun autre programme. Synthworks Proteus étant compatible MROS (système multitâche Steinberg), tout type de sysex (y compris des modifications individuelles de paramètres effectuées en temps réel pendant le jeu d'une séquence) pourra être dirigé vers une piste de Cubase.
Voici pour clore le débat quelques petits utilitaires forts ingénieux : réglage du type de pointeur et de la vitesse de la souris, gestion de disquette revue et corrigée (préselections de suffixes, affichage de l'espace libre...), auto-backup de fichiers (.BAK), attribution automatique et intelligente d'un nom à la création de son (entendez par intelligent, prononçable en anglais), animation graphique pour le repos de l'esprit, aide en ligne, fondu enchaîné entre deux écrans, etc. Je passe sous silence l'énumération des menus déroulants qui comportent environ 200 options !
Contrairement à l'habitude, c'est l'éditeur qui donne envie d'acheter l'expandeur, et non l'inverse. Si tous les développeurs d'éditeurs du monde pouvaient se donner la main, et prendre de la graine de la série Synthworks, la vie du MIDicien en serait grandement facilitée. N'espérez pas pour autant un quatre pages sur chaque nouveau Synthworks. Surtout que tous sont basés sur une philosophie identique, et qu'il en existe pour bon nombre de machines. Mais la qualité a son prix, et il faudra vous fendre de 300 € TTC (prix généralement constaté au 1/3/90).
Test réalisé par Christian Braut en mars 1990 (Keyboards Magazine n°31)