L’une est une pionnière, Sophia, la seconde, Myriam, fait partie de celles encore peu nombreuses à avoir « profité » de la porte en partie ouverte. Ingénieur du son, un métier d’homme ? Ce mois-ci, ingénieurE s’écrit au féminin, et elles savent nous faire découvrir ce métier passionnant.
En quoi consiste le métier d'ingénieur du son ?
Sophia - Un ingénieur du son doit savoir capturer et restituer le son d'une performance ou d'un événement, les techniques diffèrent selon le lieu, le moyen de diffusion et le support (on ne travaille pas de la même façon pour le disque, le cinéma ou la TV).
Myriam – Ce métier a plusieurs facettes. D’abord, il consiste à enregistrer et capturer le son. Ensuite, le mix, qui a pris une place plus importante dans la production, est le prolongement de l’arrangement, et donc une recherche d’idées qui vont venir compléter ce qui a déjà été fixé à l’enregistrement. Bref, en plus de son rôle technique (se servir des machines, de l'acoustique, de micros, de l’informatique, éviter les bruits...), l’ingé son est un créatif mettant son savoir-faire au service du projet, au même titre que les musiciens. Par ailleurs, il est aussi souvent chargé des montages et de la post-production, phase intermédiaire entre les prises et le mix.
Dans le schéma classique de la production musicale (5 étapes qui découlent les unes des autres : Maquette/Enregistrement/Mix/Mastering/Usine), l’usage veut qu’un (ou plusieurs) ingé(s) intervienne(nt) entre les prises et le mix, en fonction des circonstances artistiques et/ou budgétaires.
Un ingé son est rarement uniquement ingé son.
Sophia - A un certain niveau, salariés ou indépendants, il y a des gens qui ne font que ça : les prises d'orchestres symphoniques, les mixages pop ou R&B, la TV live, les spectacles en salle, le Surround Sound. Il y a aussi des ingés inspirés qui deviennent producteurs réalisateurs, et d'autres qui sont victimes de la disparition des studios d'enregistrement et qui sont obligés de se diversifier.
En effet depuis plusieurs années, la miniaturisation de l'équipement et la chute incroyable de ses prix, a permis à beaucoup de compositeurs de s'installer chez eux et d'éviter plus ou moins de travailler en studio conventionnel, donc l'ingé son d'aujourd'hui doit parfois avoir plusieurs cordes a son arc.
(ndlr – Sophia n’est plus ingé son depuis plusieurs années, elle nous résume ici son parcours et son activité d’aujourd’hui). J'ai toujours été fascinée par les synthés et les ordinateurs. L'amour du son vient avec, car un son ne se travaille pas que sur un instrument, il se travaille aussi à la console, à la prise de son et au mix. J'ai commencé par faire de la programmation au début des années 80, dans un home studio qui ressemblait de plus en plus à un vrai studio, puis je me suis associée et installée aux Studios Ferber où j'ai commencé à travailler à l'image.
De fil en aiguille, j'ai fait du sound design, puis des compositions pour la pub. Après plusieurs années passées enfermée plus de 10 heures par jour dans un studio, presque 7 jours sur 7, j'étais épuisée et j'avais besoin d'évoluer vers quelque chose de plus personnel. Il était temps pour moi de travailler selon mes propres goûts plutôt que ceux de mes clients.
J'ai commencé à composer pour des films 3D et réalisé entièrement leurs bandes sons. Puis, il y a 8 ans, par goût du danger et des challenges, j'ai pris le risque de vivre à Los Angeles, j'y compose maintenant pour le cinéma et la TV. Je travaille souvent en Angleterre en collaboration avec Hélène Muddiman qui, elle aussi, a été responsable d'un studio d'enregistrement. J'ai renoué avec la France récemment en faisant la musique d'une mini série pour TF1.
Myriam - Longtemps, n’être «que» a été un choix. Je n’imaginais pas sortir de mon rôle de studio pour en endosser un autre. Puis d’autres besoins se sont fait sentir… Un jour, on m’a demandé de remplacer un intervenant dans le cadre d’une formation professionnelle. Ça s’est bien passé, j’ai continué. Faire la synthèse de ce que j’ai pu apprendre et le retransmettre est une chance incroyable. Ça offre une autre perspective, riche de rencontres et d’échanges humains.
En parallèle, j’ai recommencé à jouer de la musique. Outre le plaisir propre du jeu, ça forge l’oreille de façon plus solide. De fil en aiguille, ça m’a aussi permis de me lancer assez naturellement dans la réalisation artistique, une certaine manière de percevoir le son comme simple ingrédient au service de la musique.
Peux-tu nous résumer ton parcours ? Comment et pourquoi devient-on ingé son, par passion j'imagine ?
Myriam - Evidemment ! Pour la musique avant tout, la technique étant intégrée après coup. Mais aussi par un concours de circonstances. Enfant, j’ai fait de la flûte traversière et du solfège. Assez naïvement, je voulais faire un métier dans la musique, sans en connaître les possibilités. J’ai entendu parler du métier d’ingé son… pourquoi pas ? Après le bac, j’ai intégré un BTS audiovisuel puis Louis Lumière, section son. Sachant que ce métier s'acquiert sur le terrain, j’ai profité d’un stage pour démarrer comme assistante. J’ai sévi dans plusieurs studios, entre autres Ferber et Guillaume Tell. Là, j’ai pu faire mes premières séances comme ingénieure.
Sans passion qui pousse à aller de l’avant, je n’aurais pas tenu. La vie d’assistant(e) est dure, ingrate et pour le nombre qui évolue sur les studios, peu, en réalité, passent le cap. J’ai eu la chance de travailler rapidement sur des projets d’envergure. C’était formateur, mais délicat. J’ai eu parfois du mal à faire oublier l’assistante que j’avais été... Le temps a permis de rencontrer de nouvelles têtes et, petit à petit, de forger ma place.
Quelles sont (ou ont été) vos principales collaborations ?
Sophia - En France, Voulzy, Souchon, Higelin, beaucoup de pubs, des films et TV films, des habillages de chaînes et radios.
Myriam – Le premier album que j’ai enregistré en quittant Guillaume Tell a été le live de Marianne Faithfull chantant Kurt Weill. Elle avait, à l’époque, le même manager que Louis Bertignac avec qui je venais de travailler. Quelques mois plus tard, Barbara m’a appelée pour son dernier album. Citons aussi, dans le désordre : Tribal Jam, Misia, Jean-Louis Aubert, Peter Kröner, Amadou et Mariam… Chérif M’Baw, Hector Zazou, Kalash... Et les collaborations avec des réalisateurs : Chris Kimsey, Alex Kid, Renaud Létang… belles expériences qui comptent, comme les rencontres avec les musiciens, connus ou non.
Le travail est-il foncièrement différent d'une équipe à une autre ?
Sophia - Oui bien sûr. Les artistes ne s'habillent pas pareil, ils n'ont pas les mêmes goûts, la même voix, le même son.Tout le monde doit s'adapter pour servir le projet. On peut enregistrer une voix ou un piano de bien des façons.
Myriam - Oh oui, heureusement ! Tout est à réinventer chaque jour, tant pour les prises que pour les mixes. Le propre de notre métier est de mettre en valeur l’apport de chacun dans un contexte musical. L’artiste, les musiciens comme l’ingénieur doivent pouvoir y retrouver de leur identité. Mixer un album demande une compréhension du style musical qui, chaque fois, exige de modifier mon approche : plutôt que de raisonner en timbres et dynamiques, penser en rythme vocal et groupes harmoniques, par exemple.
Aussi, tout dépend de la musique et, surtout, de rapports humains. On travaille avec l’émotif. Enregistrer n’est pas uniquement placer le bon micro au bon endroit, il faut parler, mettre en condition, voire enregistrer à l’insu du musicien pour tenir une prise inoubliable de spontanéité.
Il y a très peu de femmes. Comment l'expliquez-vous ? Est-il plus difficile pour une femme que pour un homme de s'imposer dans ce milieu ?
Sophia - La France est un pays Latin, il faut avoir les nerfs solides pour se faire respecter. Je pense que ça décourage les plus enthousiastes et il est rare qu'on leur ouvre les portes. C'est différent en Angleterre et aux USA. C'est un métier où il n'y a pas de vie de famille, il faut faire de sérieux sacrifices. Pas vraiment opportun pour une Maman.
Myriam - En effet, très peu... Les filles sont moins nombreuses à postuler. Les contraintes sont lourdes, et les confrères parfois méfiants… Mais tous ne sont pas comme ça, heureusement, et je reste profondément convaincue que c’est un «métier de femme» pratiqué par des hommes qui exploitent là leur sensibilité féminine !!!
Plus difficile de s’imposer ? N’étant pas un homme, je ne peux pas comparer ! Non, je ne pense pas, sincèrement, il faut de la persévérance, de la motivation et une certaine dose de chance. Le fait d’être une femme n’y change rien. Mais je sais qu’on se souvient plus facilement de moi, en bien comme en mal. Au fond, je pense que c’est pareil dans tous les milieux et que la différence est une force. Notre sensibilité est un atout.
Avec l’avancée technologique, comment évolue ce métier ?
Myriam - Bien et mal à la fois. L’évolution a toujours été propre à cette activité, on est en permanence dans la course à l’armement. De nouveaux outils arrivent en flot continu, il y en a toujours un qui permet d’ouvrir encore plus le champ. C’est motivant, non ? Le but est de faire de la musique, et plus il y a de moyen, mieux c’est.
La grosse différence est le contexte dans lequel cette (r)évolution a lieu aujourd’hui. Dans la frénésie des économies budgétaires, les nouvelles technologies sont mises à profit pour éviter les coûts de studios ou de techniciens. Ces dernières années, le métier s’est en quelque sorte banalisé avec le home studio. L’artiste (ou le groupe) est seul, jusqu’au mix où il fait appel à quelqu’un. C’est loin d’être idéal dans la mesure où le mix dépend des prises. Et, même avec le meilleur matos de la terre, faute d’un réel travail sur l’acoustique, les prises faites dans ces conditions sont truffées de défauts plus ou moins audibles qui réduisent le mix à un travail de cache-misère plutôt qu’à une vraie mise en valeur artistique. Dans ces cas, à nous de valoriser notre savoir-faire en le confrontant aux circonstances.
Propos recueillis par Maritta Calvez en février 2005 (magazine MusicView n°3)