À l’occasion de la sortie de la biographie Pierre Delanoë… Et maintenant, nous avons rencontré ce parolier de 86 ans haut en couleurs, qui possède ce caractère à la fois râleur et attachant du Français tel qu’on le décrit souvent. 300 tubes incontournables pour Sardou, Lenorman, Fugain… mais aussi 50 années de fidèle collaboration avec Bécaud. Ecoutons-le plutôt…
Pas le temps de poser la première question, Pierre raconte…
J’adore dire des plaisanteries. Par exemple, je suis Président d’Honneur du Conseil d’Administration de la SACEM. On est sérieux pendant une heure à parler de choses emmerdantes, je sors une grosse connerie et tout le monde rigole ! J’ai à cœur de les faire rire !
Vous avez toujours été comme ça ?
Toujours. Je me suis tapé des heures de colle à n’en plus finir parce que je faisais rigoler les copains pendant la classe !
D’où vous est venu l’amour des mots ?
Je l’ai toujours eu. J’étais 1er en dissertation à l’école. Si j’aime à raconter que je suis né à l’âge de 2 ans et monter toute une histoire dérisoire, je ne blague plus si je vous dis que j’ai parlé plus tôt que la moyenne. J’ai toujours aimé parler, bien que n’étant pas spécialement bavard. Si je n’ai rien à dire, je ne dis rien. Les bavards parlent tout le temps. Mais comme j’ai beaucoup de choses à dire… !
Vous dites détester le milieu du show business. Est-ce uniquement l’amour des mots qui vous a poussé à continuer ?
Non, la musique aussi. Je ne joue pas d’instrument, enfin, l’harmonica… Je n’ai pas appris la musique, j’ai été découragé très tôt parce qu’on a voulu m’apprendre le violon, l’horreur ! En revanche, j’ai une oreille formidable, j’ai l’oreille absolue. Je sais ce qui est juste. Je me suis beaucoup amusé à mettre des mots sur la musique avec mon beau-frère qui jouait du piano. Ce qui est passionnant aussi, c’est d’écrire comme ça, dans le vide, en imaginant une musique. J’ai souvent pris des musiques existantes pour écrire mes textes. J’ai écrit Mes mains pour Gilbert Bécaud sur une musique de Charles Aznavour. C’est une méthode que je recommande aux débutants, ça leur donne un point d’appui.
C’est un grand plaisir d’écrire des chansons. Ça ne marche pas toujours, mais je ne me plains pas. J’ai écrit 5 000 chansons dont 300 tubes environ ! Ce n'est pas beaucoup en valeur relative, mais en valeur absolue, oui !
Il y a un truc qui m’a sidéré, la Star Academy a chanté 4 de mes chansons dans la même soirée : Laissez-moi danser (Dalida), La ballade des gens heureux (Gérard Lenorman), En chantant et La java de Brodway (Michel Sardou).
Ça vous fait plaisir ?
Oui, très plaisir, parce que ça prouve que je résiste au temps. J’ai beau être un vieux con, mais un vieux con de génie, comme dit Sardou !
Que pensez-vous de ces jeunes qui sont propulsés par la Star Academy ?
Voilà mon avis : ils chantent bien, sont généralement beaux, ont une bonne allure. Ils ne chantent pas toujours comme j’aime, mais ont une bonne voix. Par contre, ils n’ont pas de présence. Et ça, c’est capital. Quand Chevalier, Montand, Brel, Aznavour, Bécaud arrivaient sur scène, on ne voyait qu’eux. De ces jeunes, on voit une forme humaine d’où sortent des sons, mais ils n’ont pas d’intérêt.
Vous aviez dit ça de Sylvie Vartan.
Oui, c’est vrai. Je suis sûr qu’à l’époque, j’avais raison. Maintenant, je reconnais qu’elle a de la présence, elle en a acquis. Elle est belle, elle est formidable ! J’adore Sylvie ! Mais quand Bécaud m’a dit… Je raconte ça dans mon bouquin ?
On apprend que vous l’avez trouvée mignonnette avec une jolie paire de jambes, mais qu’elle n’avait aucune présence. En revanche, Gilbert Bécaud lui promettait un grand avenir.
Eh bien c’est lui qui avait raison ! Mais lui était génial, ce n’était pas un vieux con comme moi ! Il avait décelé quelque chose chez cette fille. Quand j’ai reçu Johnny Hallyday dans le Studio Europe N° 1, je me suis dit que ce type-là allait réussir. J’ai besoin d’être accroché.
Vous dites du milieu de la chanson qu’il manque de sincérité. Vous-même l’avez toujours été ?
Je crois que oui. En mourant, mon père m’a dit « Sois toujours un honnête homme ». C’est ce que je dis à mon tour à mes enfants et que je dirai à mon petit-fils Victor. Je n’ai pas fait de vacherie ou si je l’ai fait, c’était involontaire. Je suis un type honnête et ce n’est pas le cas des gens du show-business qui sont tous menteurs et malhonnêtes. J’exagère peut-être un peu, mais c’est l’idée générale ; en tout cas, il n’y a pas une vedette qui soit reconnaissante. Ils vous oublient dès qu’ils peuvent. Par exemple, vous faites tous les succès de Sardou, Fugain, au bout d’un certain temps, ils travaillent avec d’autres. Ils le regrettent souvent d’ailleurs parce qu’ils ne font pas les mêmes succès. Ils essayent autre chose. Ils ne vous citent jamais. Il a bien fallu pourtant que ces mots sortent de mon crâne, mais pour eux c’est tout naturel.
A ce sujet, vous êtes passé de la jalousie à l’indifférence, expliquez-moi.
Oui, il n’y a pas autre chose à faire. En étant jaloux, on agit avec la jalousie. Avec l’indifférence, on essaye de s’en foutre. Ce n’est pas facile. Je leur en veux un peu quand même. C’est pour ça qu’on s’est fâchés avec Sardou, parce qu’alors lui, qu’est-ce que je lui ai fait comme tubes !
Vous avez travaillé très longtemps avec lui ?
J’ai travaillé de 1968 à 1998, 30 ans. J’ai tout dit à son sujet, non ?
Avez-vous aimé tous les artistes avec lesquels vous avez travaillé ?
Je ne me rappelle pas d’un chanteur pour qui j’ai écrit une chanson et dont je n’aurais pas aimé l’interprétation. J’ai écrit pour tout le monde : Maurice Chevalier, Edith Piaf, Yves Montand, mais aussi pour Patricia Kaas, Isabelle Boulay, sans oublier des Américains, des Anglais, des Italiens, des Espagnols…
Et pour les artistes de l’époque yé-yé ?
Le petit clown de ton cœur pour Johnny Hallyday, la première chanson d’Eddie Mitchell, Dick Rivers, Franck Alamo, une pour Sheila, France Gall, le premier grand tube de Sylvie Vartan La Maritza.
Vous n’aimiez pas ce style pourtant ?
Non. J’ai fait des chansons par intérêt d’abord, parce qu’il n’y avait plus qu’eux qui chantaient, mais aussi parce qu’ils étaient sympathiques. Ils me chantaient des chansons convenables, ce n’était certes pas des chef-d’œuvres, mais je n’en rougis pas pour autant.
Vous n’aimiez pas non plus Bob Dylan, à force de vous le faire écouter, Hugues Aufray a fini par vous le faire apprécier.
Oui, absolument ! Il y a quelque chose d’extraordinaire dans sa voix. Ses chansons ont de belles idées que j’ai adaptées, tout seul d’ailleurs. Hugues Aufray n’a rien fait. Il s’est contenté de signer, ce qui arrive souvent. Sardou a tout co-signé, même quand il n’a pas écrit un mot. Ni Michel Fugain ni Gilbert Bécaud ont fait ça. Il y a quand même des types honnêtes ! J’ai vécu 50 ans avec Gilbert. On a fêté nos 50 ans de mariage en 1998 à la SACEM. On s’est connus en 1948. C’était un génie ! Quelle perte.
Je cite une phrase de votre livre au sujet des paroliers des années 80 « Ces collègues qu’il considérait d’avantage comme des apôtres du malheur que comme des paroliers dans le sens noble du terme ». C’est dur.
C’est un peu fort en effet. Mais c’est vrai qu’ils exploitaient des idées sinistres à cette époque. J’ai détesté Balavoine, pas l’homme (ça m’a fait de la peine quand il est mort), mais le chanteur. C’est un des rares que j’ai détesté parce qu’en général, je ne déteste personne. Je n’aimais pas du tout sa voix.
A cette époque, beaucoup chantaient en anglais. Je déteste les opportunistes, et les chanteurs français qui chantent en anglais sont des opportunistes. Les Américains nous envahissent. Ils nous font crever par leur commerce. La chanson actuelle est « dégueulasse » parce que c’est le commerce qui prime, ce n’est ni l’artistique ni la qualité de la chanson. Elles sont toutes sur le même rythme actuellement.
Ne s’agirait-il pas là d’un simple conflit de génération ?
Bien sûr, il y a conflit de génération. Quand on a vécu longtemps, on a appris à vivre. On sait quantité de choses que les jeunes ne savent pas, mais ils doivent vivre donc ils prennent des habitudes qui ne sont pas les mêmes que celles des vieux. Ces habitudes finissent par devenir la mode, et les modes ne sont pas toujours bonnes. Et c’est quand on a appris à vivre qu’on les rejette, alors il y a conflit de génération. Il y en a toujours eu, peut-être plus aujourd’hui car le monde a complètement changé avec l’électronique et Internet que je ne pratique pas d’ailleurs. Je continue à écrire sur des cahiers. J’ai jeté mon téléphone portable que je trouvais insupportable ! Je téléphone le moins possible, à part le téléphone arabe !
Voilà, nous en avons terminé ma chère Maritta ?
Nous en avons terminé mon cher Pierre Delanoë !
Des témoignages forts, pas toujours tendres, mais c’est la passion qui l’emporte… Une vie, une œuvre Pierre Delanoë… Et maintenant (Jean Beaulne et Pierre Delanoë – City Editions).
Biographie succinte
16 décembre 1918 : Naissance de Pierre Leroyer
1955 : Fonde Europe n° 1 – Directeur des programmes
1984-1994 : Président de la SACEM
1997 : Grand Prix des poètes de la SACEM
2004 : Chevalier des Arts et Lettres
2006 : Décès de Pierre Leroyer, plus connu sous le nom de Pierre Delanoë
Propos recueillis par Maritta Calvez en janvier 2005 (magazine MusicView n°2)