Ah Bénabar ! Qui parmi les amoureux de la chanson française n’a pas craqué dernièrement pour lui ? Quel bonheur que d’avoir douze nouvelles histoires à découvrir et à apprendre par cœur pour les chanter avec lui. Ce quatrième album, Reprise des négociations, nous promet encore un spectacle malicieux, drôle et amoureux car c’est bien sur scène que Bénabar se savoure.
En préparant ce nouvel album, avez-vous eu peur de la page blanche et, éventuellement, peur de décevoir le public qui a été conquis ?
Peur de la page blanche, pas vraiment parce que je suis rentré dans une dynamique d’écriture. J’ai toujours un bout de texte et des idées qui me préoccupent. Mais la peur d’écrire une chanson complètement idiote, sans intérêt ou qui n’intéresse que moi est réelle. Donc la peur de décevoir est réelle aussi.
Comment se passe votre travail d’écriture ?
Ce n’est pas vraiment quotidien car je n’écris pas tous les jours, mais c’est permanent. Je pense toujours à quelque chose. Il n’y a pas de périodes pendant lesquelles j’écris et d’autres pas. Je mets une idée en place, je reviens sur ce que j’ai écrit, sur une idée que je n’ai pas menée à bien, je lui trouve un nouvel angle qui m’excite sur le moment et qui me porte à travailler et à rentrer dans la direction pure de la chanson…
Vous avez écrit des scénarios de courts-métrages. Quelle est la différence fondamentale avec l’écriture de chansons ?
La différence fondamentale est que l’écriture d’un scénario est un élément de travail pour les autres. Ce qui est écrit sera dit et exécuté de telle ou telle façon par les comédiens et les techniciens. C’est un élément de travail pour le réalisateur, alors que tout doit se trouver dans la chanson qu’entendra le public : les costumes, la lumière, le jeu des acteurs, les mouvements des caméras…
Paraît-il que vous êtes d’une nature timide…
Oui, c’est exact. Enfin… réservé, je ne pense pas être très timide.
Profitez-vous de vos textes pour passer des messages à vos proches ?
Non. Quand on écrit une chanson, la difficulté est d’essayer de parler à beaucoup de gens. Si on fait une chanson d’amour qui, a priori, ne concerne que soi et la fille, le but du jeu est de la raconter à tout le monde. Donc si on ferme les choses en ne s’adressant qu’à une seule personne, cela pourrait devenir une chanson qui ne parlerait qu’à soi et risquerait de scléroser l’écriture, même si des choses très personnelles peuvent devenir universelles. Enfin, il me semble, je n’y ai jamais réfléchi en fait, mais je ne le recommanderai pas.
Que se passe-t-il dans la tête d’un jeune artiste lorsqu’il est sollicité par Henri Salvador et Juliette Gréco ?
La difficulté est d’oublier autant que possible que ce sont des grands noms, de retirer le sacré de ces gens-là parce que tu ne peux pas travailler avec des gens sacrés. Il faut tâcher de parler directement avec eux, ce que je n’ai pas réussi à faire d’ailleurs pour la chanson de Juliette Gréco par exemple (Les beaux jours reviennent). J’étais très intimidé par le personnage, même si elle ne le cultive pas car c’est une femme d’une grande intelligence donc fatalement d’une grande simplicité. Elle a une immense gentillesse. Le but du jeu est d’arriver à rivaliser avec eux, de pouvoir leur parler parce que c’est ce qu’ils réclament. S’ils s’adressent à toi, c’est pour échanger. Il faut essayer de les prendre comme des gens qui travaillent. Ce sont des musiciens, comme moi, sauf qu’évidemment, ils ont des carrières nettement plus longues et sont des mythes vivants, mais dans le cas d’Henri Salvador et de Juliette Gréco, ils ne l’imposent pas, au contraire. Ils sont très simples dans leur rapport ce qui permet d’ouvrir sa bouche et de parler à table. Ou alors tu te tais et t’écoutes !
Malheureusement, je ne pense pas avoir apporté grand-chose à la chanson de Juliette parce que j’étais trop… intimidé par le personnage… enfin, pas timide d’ailleurs, mais peut-être que je me dénigrais trop… Je ne sais pas. Dans le cas de la tournée avec Henri, c’est différent parce qu’il me parrainait pour sa première partie.
Maintenant, le processus s’est inversé. C’est vous qui vous retrouvez face à vos fans !
Dans mon cas, cela reste très simple. C’est la grande théorie de la barrière ! Tu sors du Zénith, les gens te font l’amitié de t’attendre pour signer des CD. Tu as la sécurité et la barrière en métal des manifs, mais tu te dis qu’il n’y en a pas besoin. D’un seul coup, tout est beaucoup plus cool. C’est à nous de choisir si nous voulons être entre les gardes du corps et la barrière, ou si nous allons directement parler aux gens. Il faut avouer que parfois, les gens sont un peu déçus de te voir « en vrai ». Ça donne « Il est beaucoup plus petit » ! Ça, c’est le mauvais côté de la chose ! Rester derrière la barrière conserve une forme de mystère, mais je n’adhère pas trop à ça. Même si les gens m’aiment bien, à terme, je pense qu’ils ont plutôt été déçus qu’admiratifs…
C’est vous qui le dites. Il va me falloir aller interviewer les fans maintenant !
… !!!
Si je dis « Bruxelles », ça parle à Bénabar, bon. Beaucoup d’artistes enregistrent leurs albums à New-York ou à Londres, vous, c’est Bruxelles ?
L’avant-dernier oui. Celui-là, je l’ai enregistré à Paris. Bruxelles, oui, parce que c’est beaucoup plus chic ! Mais je ne suis pas le seul, il y a de très bons studios comme ICP. Je n’y suis pas allé, mais des artistes comme Renaud par exemple s’y rendent parce qu’il y a des gens très compétents.
Et puis, j’adore cette ville. Je n’aime pas l’avion donc de toute façon New-York pour moi, c’est quand même une mauvaise journée ! Je trouve que Bruxelles, qui est proche de Paris, a quelque chose de dépaysant. De plus, le fait d’emmener les gens dans un autre endroit modifie un peu notre façon de travailler, on reste dans une espèce de cocon, dans une atmosphère entretenue qui peut être utile si elle est bien menée.
Hormis que c’est le cadeau que vous faites à votre fiancée dans votre dernier album, qu’a-t-elle de si particulier Bruxelles ?
C’est difficile à dire comme ça. Il y a des endroits où tu te trouves bien et je m’y sens bien. Je ne me sens pas agressé. Elle a l’avantage d’être à la fois une capitale et une ville de province. Moins grande, moins spectaculaire que Paris, et pourtant, c’est une capitale. Et même si on y parle la même langue qu’en France –ce qui est très confortable pour nous, les Français !- il y a un autre accent, une culture très fraternelle à la nôtre, mais quand même différente. Il y a beaucoup d’éléments comme ça qui font que c’est une ville particulière.
En préparant votre album, pensez-vous déjà à la tournée ?
Un peu oui, mais pas trop. J’essaye de faire la différence et de me concentrer sur l’album, de penser aux titres qui vont être écoutés dans un salon. Ensuite, on pense aux titres que nous allons jouer sur scène et là, on modifie des choses. Il y a des titres qui peuvent être très bien sur l’album, mais qu’on ne jouera pas parce qu’on se dit qu’ils sont compliqués, qu’on va galérer…
Parlez-nous de cette ambiance de tournée…
Une tournée, c’est un moment à part. Je n’avais jamais vécu ça avant, pourtant, j’ai eu l’occasion de travailler dans le cinéma en tant que technicien et donc de partir sur des tournages pendant plusieurs mois. Mais une tournée, c’est vraiment à part, c’est très affectif. Pour bien la vivre, il faudrait la prendre avec beaucoup de recul, ce que je ne parviens pas à faire. C’est la raison pour laquelle je ne tourne qu’avec les mêmes copains depuis longtemps, des gens que j’aime bien parce qu’il faut être content de se retrouver dans un bus à une heure du matin entre deux villes…
Ça me semble impossible de faire une tournée avec du recul parce que vous êtes plongés dedans au quotidien…
Certains parviennent à le faire en allant à l’hôtel, en se protégeant et se surprotégeant. Je ne l’ai pas fait jusqu’à présent. C’est très enrichissant et très flatteur parce que tous les soirs, on essaye de sortir quelque chose de bien de soi, parce qu’on doit jouer et qu’on essaye de faire passer un bon moment aux gens, autant moi que les musiciens. C’est aussi ça l’avantage d’une tournée : c’est très démocratique. Sur l’album, je suis Bénabar, le chanteur, et eux sont les musiciens. Mais quand on est sur scène, le batteur est aussi important que moi et l’ingénieur du son qui est en façade est aussi important que nous parce que les gens entendent ce que nous faisons parce qu’il est là. Chacun donne le meilleur de soi-même, il n’y a plus vraiment de patron, les frontières s’estompent.
A force de donner le meilleur de soi tous les soirs, on sort un peu grandi d’une tournée, je crois. Que ce soit 200 ou 3 000 personnes, quand elles sortent contentes d’un concert, toi, tu dors tranquille ! Apporter le sourire aux gens, c’est super !
C’est donc ça la tournée, avec toute la fatigue qu’elle induit et son côté un peu tordu dans le sens où tu vis une vie à part, tu ne te poses plus les problèmes de linge sale, de factures… Attention à ne pas trop tourner parce que tu peux devenir complètement con et oublier de payer ta baguette ! En tournée, tu ne vas jamais faire les courses alors que tu manges comme d’habitude. Je pense que c’est mieux de faire des tournées en étant déjà « installé » avec un certain âge. Ce doit être très difficile à 20 ans d’avoir du succès, de faire une grosse tournée et d’arriver à retourner dans la vie normale. Il y a une telle euphorie à chaque concert, une telle dose d’excitation qu’il n’y a pas ailleurs qu’en tournée.
Comment se gère la fin d’une tournée ?
C’est très douloureux. La fin d’une tournée, c’est une période qui s’achève, un terme à quelque chose d’extraordinaire. Je ne ressens pas la même chose à la sortie d’un album. Pendant une tournée, il s’est passé tellement de choses, on rencontre tellement de gens, il y a eu tellement d’échanges, du bon et du moins bon d’ailleurs… voilà, c’est une page de tournée… d’où le terme « tournée »… !
A l’instar de Sanseverino, vous n’oubliez jamais de parler des artistes qui sont sur les routes, mais qui n’ont pas la même visibilité médiatique que vous aujourd’hui. De qui aimeriez-vous nous parler ?
Je suis très admiratif de Bertrand Belin qui a sorti un album, en dehors même du fait que ce soit un copain. Loïc Lantoine, Eric Toulis, ancien chanteur des Escrocs. Ce sont trois personnalités différentes qui ont une véritable exigence et une façon d’appréhender la vie et le travail très cool. Ils essayent de mettre la barre toujours un peu plus haut. Ce sont des gens que je respecte infiniment.
DITES-MOI - Quel(le) est…
La chanson que vous auriez aimé écrire
Il y en a tellement… Je m’voyais déjà (Charles Aznavour)
La chanson méconnue de votre répertoire que vous voudriez défendre
Approchez, sur le 2e album
Le (la) chanteur(euse) que vous auriez voulu être
Personne d’autre que moi !
Le 1er disque que vous avez acheté
Ce devait être un disque d’Higelin, je pense
Le concert qui vous a marqué
Tom Waits au Grand Rex il y a 3 ou 4 ans
La chanson de vos 18 ans
… Une chanson des Pogues peut-être
Le duo (même virtuel) que vous aimeriez faire
Là encore, il y en a beaucoup trop… De Franck Sinatra à Renaud en passant par Keren Ann et Frédéric François, sans oublier les Beatles…
Le tube que vous détestez
Ma liberté de penser (Florent Pagny)
La chanson que vous écoutez lorsque vous avez le blues
Quand j’étais chanteur (Michel Delpech)
Propos recueillis par Maritta Calvez en novembre 2005 (magazine Chanson Mag n°1)