La chanson a pris une place importante dans sa vie, comme dans celle de tout le monde, dit-il. Philippe Meyer sait mieux que quiconque qu’il n’existe pas un public, mais des publics, et qu’à chaque initiative, aussi marginale soit-elle, ces publics répondent présent. Vous pouvez vous régaler en l’écoutant sur France Inter le samedi de 10 heures à 11 heures.
La question résumée que propose votre émission La prochaine fois, je vous le chanterai est « Qu’y a-t-il à l’intérieur d’une voix ? »
Il faut bien essayer d’attirer l’intérêt de ceux qui vont eux-mêmes devoir attirer l’intérêt du public ! L’idée est beaucoup plus simple. Elle aurait pu s’appeler C’est une chanson qui nous rassemble, ou qui nous divise d’ailleurs.
Ces toutes petites choses qui sont quelquefois si brèves, écrites sur un coin de table, ou qui d’autres fois demandent des années de travail, occupent une grande place dans nos vies à tous, quels que soient notre âge, notre tempérament. C’est très rare de trouver des gens pour qui la chanson n’a pas d’importance, à vrai dire, je crois même ne pas en avoir rencontré.
Il y a des chansons qui sont liées à des personnes qui ont traversé notre vie ou à des moments particuliers. Lorsque j’ai eu la possibilité de faire une émission hebdomadaire sur France Inter et que l’on m’a demandé quel sujet je souhaiterais aborder, j’étais sûr de ce que je voulais faire. Je n’étais pas sûr qu’elle rencontrerait l’intérêt du public, je l’espérais ardemment, mais je voulais une émission qui traduise simplement le goût et la curiosité pour la chanson, sans barrière d’époque, de genre ou de langue.
Vous sentez-vous concerné par le débat sur le manque de diversité au sein des majors et dans les médias ?
Comme tout le monde à la radio, je me sens menacé par le pilonnage que les grands labels exercent sur nous pour obtenir non seulement la diffusion de leurs artistes, mais même d’une chanson de leur artiste. Quand, par exemple, ils ne veulent plus envoyer de disques aux programmateurs de la chaîne, mais simplement des MP3 d’une chanson, je pense qu’ils concourent à leur propre affaiblissement. Ce qui vérifie ce que je viens de dire, c’est que l’on rencontre de plus en plus d’initiatives marginales, lesquelles rencontrent elles-mêmes du public.
Cette année, nous organisons la troisième édition de la Scène Nationale à Mulhouse. Nous invitons cinq chanteurs ou groupes, ils ont chacun la possibilité de chanter trois chansons. Ils en choisissent deux librement et nous leur imposons d’en choisir une parmi un répertoire.
La première année, ils devaient choisir une chanson dans le répertoire de Jean-Roger Caussimon, la deuxième, c’était Colette Magny, cette année, c’est Serge Gainsbourg. La Scène a lieu au mois de mars, eh bien, au mois d’octobre, on m’annonçait qu’il n’y avait déjà plus de place. C’est dire si ces initiatives apparemment marginales rencontrent le succès.
Vous aimez les interprètes, mais aujourd’hui nous voyons arriver beaucoup d’auteurs-compositeurs-interprètes. Comment l’analysez-vous ?
Oui, il y en a beaucoup plus qu’avant. Il y a des explications différentes à cela. Ça dépend un peu du genre de chansons qu’ils pratiquent, le genre industriel ou le genre artisanal.
Dans le genre industriel, c’est une explication qu’on peut trouver dans l’industrie : c’est ce qui rapporte le plus. Si vous êtes auteur, compositeur et interprète, vous touchez trois fois. Dans l’autre cas, il y a une espèce de démocratisation du sentiment de la création. Après tout, tout le monde est capable et a le droit d’essayer. Ensuite, la confrontation avec le public fera le tri, pas forcément juste d’ailleurs.
Et puis, il ne faut pas oublier que pendant vingt ans, ou peut-être un peu moins, mais pendant assez longtemps, le répertoire ne s’est pas transmis. La dictature progressive de l’industrie de la chanson faisait qu’on passait les derniers titres. La raréfaction des salles aussi a apporté une sorte de sélection, donc il y avait les monstres sacrés comme Barbara et des gens comme Catherine Sauvage qui n’étaient tout simplement pas diffusés. En entendant des titres plus rares, certains chanteurs auront peut-être envie de les interpréter eux-mêmes. Je pense qu’il y a un contact à rétablir.
L’autre chose inquiétante, c’est la manière dont l’industrie du disque crée des phénomènes. Apparaît un nouveau talent. Si son premier disque rencontre la faveur du public, il faut que le deuxième disque vende plus que le premier sinon, on le laisse choir. Fellini a dit quelque chose de formidable : « La télévision est en train de nous fabriquer une génération de crétins impatients. »
Il faudrait bien que ces crétins impatients, qui sont à des postes où il devrait y avoir de sages patients, aient le sens de la durée. Quand on propose quelque chose, c’est aussi vrai pour un nouvel artiste que pour une nouvelle émission, il faut savoir tenir et pas se précipiter pour le retirer si par malheur, ils n’ont pas tout de suite trouvé leur public. Il faut se souvenir que beaucoup de choses tiennent à l’obstination.
J’aime ceux qui continuent à imposer leur rythme, mais ça doit leur coûter beaucoup. Il faut savoir que ça existe, qu’il est encore possible de se trouver en dehors du circuit.
Vous avez dit dans Les progrès du progrès : « La musique c’est comme l’amour, il y a des heures et des endroits pour ça. » Lesquels sont-ils pour vous ?
Je sélectionne un certain nombre de disques que je rentre dans ma chaîne, laquelle se trouve en face de ma baignoire. J’ai d’ailleurs organisé mon appartement pour pouvoir le faire !
Je me mets dans l’eau en laissant un filet d’eau chaude couler par le tuyau de la douche pour que cela fasse moins de bruit et pour que le bain reste à une température constante. C’est une des situations que je préfère pour écouter toutes sortes de musique ; je recommande à vos lectrices et à vos lecteurs d’essayer et de vous en donner des nouvelles !
Propos recueillis par Maritta Calvez en janvier 2006 (magazine Chanson Mag n°2)