Il y a dix ans, Cheyenne Autumn nous faisait découvrir ce chanteur qui s’avérait être un humain avec tout ce que cela comporte : amour et colère, surprise et déception, paroles et musiques… Enfin, tant et plus, Jean-Louis est un être entier, et sensible aussi !
Enregistrer Mustango aux Etats-Unis n’était ni un vieux rêve, ni une envie particulière : ”C’est plus facile de faire un disque là-bas. Les studios ont moins de matos, mais ils sont plus performants et les ingénieurs du son plus professionnels. C’est une autre mentalité qui me semble mieux correspondre à la musique que celle que l’on a en France. J’ai bossé avec des musiciens new-yorkais (entre autres) qui ont l’habitude de venir en France, de faire des interviews (ce qui ne leur arrive pas beaucoup aux Etats-Unis).”
C’est en allant les voir en concerts et en discutant avec eux que Jean-Louis les a rencontrés. S’ils se plaisaient, il leur faisait écouter ses albums et leur demandait s’ils voulaient jouer avec lui… Ils ont tous accepté. ”Ils ont envie de bosser, de faire un disque. En France, les musiciens ont envie d’avoir des cachets… Là-bas, dès l’instant où ils acceptent de bosser avec quelqu’un, ils mettent instinctivement leur ego dans leur poche. C’est plus facile, tu ne perds pas de temps, leur professionnalisme est très appréciable. ”Certaines chansons ont été écrites sur place, d’autres complétées en ”se laissant inspirer de la façon américaine : la perception se transforme en restant quatre mois dans un pays étranger…”Cet album fut donc un véritable échange entre lui et les musiciens.
Le cœur a ses frontières…
Cependant, lorsqu’on lui demande si ces contacts vont perdurer, on sent bien une légère note de regret. ”Ils sont bien moins affectifs que nous, moins sentimentaux, ils sont sympas le temps du boulot, tu manges un morceau, et puis après, basta, ils passent à autre chose. Ils sont froids. Les quatre mois ont été utiles pour bien estimer ça, je faisais comme eux, pas de ”ouachi-ouacha”, genre on est copain comme cochon. Quand tu travailles avec quelqu’un, tu restes toujours en retrait, tu restes sur ta faim en communication, en chaleur, tu t’investis moins dans les rapports humains. Il faut bien plusieurs mois pour être moins romantique, moins européen, si tu ne restes que 15 jours, t’as l’impression d’avoir plein de nouveaux amis ! Tu mets donc évidemment de l’intensité, mais moins d’affectif.”
New York, ce n’est pas la Lune, ni Londres non plus…”New York est moins dépaysant pour moi que Paris. En tant qu’Auvergnat, je me sens mieux là-bas. En faisant abstraction de tous les signes extérieurs, tu arrives à penser en anglais en quatre mois, quasiment à rêver en anglais. Quand tu reviens chez toi, tu es comme en pays étranger ! Tu vis les choses différemment. Quant à Londres, j’y ai plusieurs fois bossé, mais ça n’a jamais rien donné. Il me semble que les Anglais sont à la fois fascinés par la réalité française, mais qu’ils nous prennent toujours pour des charlots. On a l’impression qu’il y a des siècles de contentieux avec eux et que ça nous retombe dessus. Ils ont une façon de rire sans que ça se voie !”
Technologie ou acoustique ?
Retour en Auvergne, où il nous raconte son studio :”J’ai beaucoup de synthés vintage, des boîtes à rythmes, de vieux instruments que je conserve. Je suis assez sentimental avec les objets, surtout en musique. Si j’ai fait une chanson avec une boîte à rythmes, je ne peux pas la vendre, ça me fend le cœur… J’ai un studio 24 pistes depuis le début des années soixante-dix : vieilles technologies, amplis à lampes, j’ai mon MiniMoog depuis 1976. Je possède au moins quatre ordinateurs à la maison. Je suis également équipé d’un Mac qui représente une sorte de commodité et une approche sentimentale. En termes de communication avec les autres musiciens, c’est plus compatible. Les Américains, eux, sont très PC. Certaines options sont plus intéressantes, mais en France, il vaut mieux rester Macintosh.
Mon studio me sert à mixer et à enregistrer. J’aime travailler de façon extrêmement traditionnelle, en acoustique, analogique, ou faire tout en numérique. J’aime aussi mélanger les deux. A propos de l’album Dolorès, l’expression des Américains est le”Pro Tools shit”! Même s’ils ont déchanté un peu quand ils ont appris que 50 % des disques étaient maintenant Pro Tools aux Etats-Unis ! On avait pris cette sale manie d’enregistrer les musiciens très vite et de tout trafiquer par la suite. Je travaillais avec deux mecs et deux Pro Tools sur une SSL, tu deviens fous, tu peux tout faire ! Je travaille avec Denis Clavaizolle qui passe son temps à chercher, à charger, c’est une espèce de connexion entre tous les musiciens. J’ai gravé en Angleterre (!) avec un mec ultra performant qui n’a quasiment rien dans son studio, il va chercher les programmes en fonction des disques. Il fait son supermarché ! Maintenant, un bon musicien, ce serait presque un mec qui sait choisir. Sur cet album, il n’y a rien, pas un seul ordinateur. Quelques chants ont été enregistrés en DA_88, ce qui est bien pratique quant du veux chanter à 23 h !
J’aime bricoler, faire de petites corrections en travaillant sur Pro Tools, mais ça dépend un peu des besoins. Cheyenne Autumn a été fait avec un Atari 1040 ST et un Akai S900. Fin 1989, c’était encore le tout début de l’échantillonnage. Mais je n’ai pas d’a priori. Je change de format d’enregistrement vraiment volontiers.”
La musicalité des mots
Quitter les grosses machines pour parler d’écriture. ”J’écris dès que je suis tranquille. Mais je passe maintenant plus de temps à dessiner et à peindre. C’est un grand changement pour moi. Ça m’équilibre. Dès que je coince sur une chanson, je peins et dès que j’en ai marre, je reviens à la chanson, cela me permet d’être plus efficace. Tous les textes de cet album sont nouveaux, excepté Le fier amant de la Terre qui date de 1979. C’est une exception car tous les textes de tous mes albums ont toujours été récents. Je ne me vois pas recycler de vieux mots qui me paraîtraient totalement décalés. Je fais les paroles et la musique en même temps. Le piège pour moi serait d’avoir une musique sans texte. Et écrire pour les autres n’est pas un vrai plaisir car un mot peut être choisi pour sa simple musicalité, dissocier les deux ne me plaît pas. Si à l’inverse, un boys band reprenait une de mes chansons ? Cela serait comme s’ils me kidnappait un enfant !”
Libre d’offrir
Avec passion, Jean-Louis a monté, il y a environ deux ans, son site Internet. ”Comme quand je fais un album, j’aime faire partager mes lectures, mes préoccupations, mes passions. Pour cela, il faut s’investir. C’est un site vraiment perso, pas ”cerné” par la maison de disques. Et il en est hors de question ! L’idée de départ est justement d’éviter les maisons de disques, comme le font les Américains. En France, y mettre un inédit en MP3 pendant un an m’a déjà valu quelques remarques, mais j’ai bien l’intention de continuer… C’est un cadeau aux internautes, personne ne peut me l’interdire ! Dans un sens égoïste, c’est un espace de création où je peux m’éclater et être généreux avec les gens. C’est un réel échange qui te motive, te donne de la force. Avant Mustango, j’étais hyper démotivé. Sans Internet, je n’aurais peut-être pas fait ce disque-là. Les gens viennent naturellement sur le net, me redonnent de l’énergie et au final, ils ont été extrêmement positifs pour moi. Ils sont formidables et assez fins, sans oublier d’être exigeants. Dès que je dis des conneries en interview, ils me sanctionnent, ce ne sont pas seulement des rapports mielleux. Ils savent me balancer le vinaigre au bon moments et ça ne fait pas de mal !”.
Propos recueillis par Maritta Calvez en octobre 1999 (magazine Computer Music n°5)