C’est à l’instant même, ce 10 janvier 2020, que Korg vient d’annoncer la nouvelle qui va faire grand bruit : la production en quantité limitée de l’ARP 2600, avec seulement 1 000 exemplaires dont 50 pour la France : l'ARP 2600 FS (pour Full Size). Flashback sur un mythe des instruments électroniques et sur la conception de cette nouvelle édition.
La firme japonaise avait déjà commencé à mettre un pied sur le terrain de la fabrication de machines vintage avec l’ARP Odyssey en janvier 2015. Contrairement à d’autres fabricants qui se sont engouffrés dans la brèche du « revival » et sortent sous leur propre label, avec un nom de modèle différent, des machines ayant marqué l’histoire de la musique électronique, Korg, qui a racheté la marque ARP, commercialise ses produits sous l’appellation d’origine. De plus, elle s’est adjoint les services de David Friend, co-fondateur de ladite société.
Il était une fois ARP
Fondée en 1969 par Alan Robert Pearlman, qui donnera ses initiales à la société, ARP a marqué la légende des instruments électroniques, au même titre que Moog, EMS ou encore Fairlight, aussi bien dans la production musicale que dans l’esprit de très nombreux musiciens. Pendant un peu plus de dix ans, ARP règnera sur le marché émergeant de la production d’instruments électroniques.
Alan Robert Pearlman était un ingénieur travaillant dans le domaine des composants électroniques. Tombé dans la « marmite » tout petit – son père concevait des projecteurs de cinéma et son grand-père des pièces pour phonographes –, il se lança très tôt dans la fabrication de postes de radio. Étudiant au WPI dans le Massachusetts (Worcester Polytechnic Institute), il écrivit un article visionnaire de plus de vingt ans sur l’avenir des synthétiseurs, dans lequel il déclarait : « La valeur de l'instrument électronique est avant tout une nouveauté. Avec une plus grande attention de la part de l'ingénieur aux besoins du musicien, il sera possible que l'instrument électronique puisse prendre sa place comme un instrument versatile, puissant et expressif. »
Il fonde ainsi en 1969 sa propre société de fabrication de matériels de musique : Tonus Inc, qui sera rebaptisée assez rapidement du nom de ses initiales : ARP.
L’ARP 2500
Le premier instrument sur lequel Pearlman se concentre va se nommer l’ARP 2500. Il s’agit d’un mastodonte modulaire qui se rapproche de ce que faisait Moog à l’époque, mais au lieu d’utiliser des câbles de raccordement afin de relier les modules entre eux, Pearlman décide d’employer des matrices de 10 x 10 avec des switches à glissières verticales (merci à Michel Geiss pour l'information). L’autre point fort de la machine, par rapport à ses concurrents, réside dans une stabilité des oscillateurs (dont même Robert Moog reconnaîtra la supériorité).
Pourtant, si aujourd’hui l’ARP 2500 figure au panthéon des machines qui ont révolutionné la musique électronique, il était très compliqué en 1970 de vendre ce genre de matériel aux musiciens. C’est pourquoi, les premiers « clients » furent les universités et les laboratoires de sonorisation, qui considéraient l’appareil plutôt comme un outil expérimental sonore dans un contexte éducatif, plutôt qu’un instrument de musique.
Toutefois, certains musiciens s’intéressèrent à l’ARP 2500. Ce fut le cas de Pete Townshend, le guitariste/clavier/chanteur des Who qui l’utilisa (avec d’autres machines) dans l’album culte du groupe en 1971 : « Who’s next ». La manière de triturer les sons, comme par exemple d’entrer la guitare dans l’un des modules de l’ARP sur le titre « Going mobile », mettra en avant les capacités de l’instrument et participera à la démocratisation des synthétiseurs dans la musique rock.
Petit aparté amusant, à la même époque, en 1973, sortait le premier album de Queen, baptisé sobrement « Queen » et dont la pochette arrière arborait fièrement la mention « and nobody played synthesizer » (et personne n’a joué de synthétiseur). Amusant donc, puisque sept ans plus tard, l’album « The Game » incorporera des sons de synthés qui prendront par la suite une place prédominante dans la production du groupe anglais : « The Works », « A kind of Magic » et bien sûr le sublime « Innuendo », noyé sous les sons du Korg M1.
Mais revenons à l’ARP 2500. Son prix de l’époque oscillait entre 7 200 $ et 19 000 $, suivant la configuration. Vous aviez le choix entre 6 systèmes différents, chacun comprenant un certain nombre de modules, un type de clavier ainsi que les armoires nécessaires aux modules. Il s’écoulera environ 100 exemplaires de l’ARP 2500, dont on estime aujourd’hui la moitié en bon état de fonctionnement, pour un prix en occasion autour des 50 000 €.
Si cet instrument était novateur et d’excellente qualité, il se posait néanmoins un problème de taille : son encombrement et son poids. Autant dans un studio ou une école, cela ne provoquait pas trop de soucis, autant pour un concert ou une tournée, c’était une véritable galère. Une solution fut alors trouvée : l’ARP 2600.
Olivier Grall effectuant une démonstration de l'ARP 2500.
Naissance d’une légende : l’ARP 2600
Le successeur de l'ARP 2500 fut une amélioration majeure dans un certain nombre de domaines. Pearlman et ses collaborateurs au sein d'ARP ont réalisé qu'il y avait un juste milieu entre flexibilité et praticité. Ainsi naquit l’ARP 2600, un compromis : moins de possibilités sonores mais un accès plus facile et rapide aux sons et surtout un instrument plus petit, livré avec des modules pré-câblés ; vous pouvez toujours utiliser des câbles de raccordement si vous voulez faire des expériences sonores, mais ils sont facultatifs.
Ces modifications ont rendu l'instrument beaucoup plus adapté à la performance en live, contribuant à sa popularité. Mais une autre amélioration l'a rendu célèbre. Le clavier de l'ARP 2600 est indépendant et rattaché à l'unité des modules par un simple câble, afin de faire face à des situations compliquées où la possibilité de mettre « l’armoire » encombrante devant le clavier n’existe pas.
Un artiste créatif, Edgar Winter, a détourné cet aspect : « En gros, il y avait des Moog et des ARP à l'époque. Et le Moog était une unité intégrée, les claviers faisant partie de l'unité de commande elle-même. Mais l'ARP 2600 avait un clavier séparé, un clavier à distance qui se connectait au cerveau ou aux tripes de l'instrument avec un câble de type ombilical. J'ai regardé le clavier et j'ai dit : « Wow, ça a l'air plutôt léger. On dirait qu’il est possible d’attacher une sangle sur ce truc, comme pour une guitare ».
Winter a ainsi poussé le terme « portable » bien au-delà de l'imagination des créateurs de l'instrument. Non pas portable comme pour passer d'un concert à un autre, mais portable pour jouer sur scène. Avec une sangle et un long câble, vous disposiez du premier « Keytar », comme on peut le voir sur le tube instrumental « Frankenstein » d’Edgar Winter :
Présenté à la 38e convention de l’AES en mai 1970 à Los Angeles, en même temps que le Minimoog, l’ARP 2600 se différencie par une approche semi-modulaire apportant une souplesse que n’a pas le Moog.
En effet, contrairement aux synthétiseurs modulaires purs, comme les Buchla ou Moog, l'ARP 2600 possède un câblage interne par défaut entre les modules individuels afin de pouvoir le transporter, le brancher, le mettre sous tension et obtenir du son sur les haut-parleurs intégrés sans aucun travail supplémentaire. Les points de patch à l'avant du synthétiseur remplacent alors ces connexions internes en interrompant la connexion interne, ce qui vous permet de personnaliser la façon dont les modules sont acheminés de l'un à l'autre pour produire de nouveaux sons.
L’ARP 2600 utilise des câbles spécifiques permettant de relier les modules avec des connecteurs Switchcraft Tini-Jax au lieu de prises audio standard 1/8". Le connecteur Tini-Jax a un diamètre de 0.141", plus grand qu'un jack 1/8" (0.125") ou un jack 3.5 mm actuel (0.138").
Commercialisé l’année suivante, l’ARP 2600 sera pendant 10 ans, une machine très prisée des musiciens, jusqu’en 1981, année qui marquera la cessation d’activité d’ARP. En une décennie, de nombreuses stars auront utilisé l’ARP 2600 dans un nombre incalculable de tubes : Jean-Michel Jarre, David Bowie, Vince Clarke, Depeche Mode, Brian Eno, Herbie Hancock, Kraftwerk, Mike Oldfield, Tangerine Dream, Ultravox, Pete Townshend, Stevie Wonder…
Jean-Michel Jarre considère d’ailleurs cet instrument comme l’un de ses préférés et dira de lui : « L’ARP 2600 est un instrument que j’adore. J’en possède trois, dont un qui me sert juste pour les pièces détachées, de façon à réparer les deux autres. On a beaucoup parlé du filtre Moog comme d’un modèle du genre ; je lui préfère celui du 2600 qui donne des couleurs plus originales – un peu moins rondes. Ce synthé est vraiment fabuleux pour créer des séquences de noise, des rythmiques, des effets de goutte d’eau ou des sons évolutifs » (Keyboards n°108 - mars 1997).
Mais on trouve également l’ARP 2600 là où on ne l’attend pas forcément : c’est en effet la « voix » de R2-D2 dans Star Wars grâce à la magie du Sound Designer Ben Burtt (à qui l’on doit aussi, entres autres, le son du sabre laser) qui a combiné sa voix avec l’instrument.
Dans le détail…
Il existe plusieurs versions de l’ARP 2600 au cours de sa décennie de fabrication. Présenté d’abord début 1971 avec une façade bleue qui lui vaudra le surnom de « Blue Marvin » (du nom du Directeur financier d’ARP : Marvin Cohen) et parfois, à tort, de « Blue Meanie », il s’en vendra environ 25 exemplaires. Puis, mi-1971, une version avec une façade grise appelée « Grey Meanie », voit le jour. Le boîtier en bois et en métal du premier modèle demeure, tandis que le clavier subit un lifting et sera désormais estampillé model 3604C. Environ 35 exemplaires auraient été fabriqués.
Puis, fin 71 apparaît une nouvelle version de la machine qui ira jusqu’en 1974, comportant une architecture similaire aux précédentes (façade métallique dans un boîtier en bois), mais dans une valise beaucoup plus résistante. Quatre versions seront produites avec des modifications, notamment sur les composants des VCO (v2) ou un panneau avant plus haut (v3) et enfin un nouveau clavier duo-phonique (model 3620) avec LFO. Le logo changera également sur ces modèles.
Durant cette période, un litige va opposer la société Moog à ARP. En effet, le filtre 4012 utilisé dans tous les modèles d’ARP 2600 jusqu’en 1976 est une copie d’un brevet déposé par Moog (le filtre 904A). La justice donne raison à Moog et ARP doit en hâte concevoir un nouveau filtre. Ce sera le 4072 qui, malheureusement, ne sera jamais à la hauteur de l’ancien filtre (d’ou l’intérêt plus important pour les ARP d’occasion possédant ce fameux filtre 4012). Notons au passage que si ce filtre se base en effet sur une conception de Moog, Alan Pearlman l’avait largement enrichi pour en faire presque un nouveau filtre. Pour l’anecdote, il semblerait que Moog ait emprunté certains circuits de filtres à ARP pour créer ses premiers modèles de Moog Sonic Six (1972).
L’ARP 2601
A partir de 1975 et durant deux ans, le modèle évoluera en 2601 (trois versions). Les principales différences concernent l'amélioration des vérins et des commandes à glissière, ainsi que des trous de garniture plus petits. De plus, ces instruments utilisaient encore les filtres 4012 pourtant contestés lors du jugement. C’est à partir de 1977 que l’on verra débarquer l’ARP avec le filtre 4072 (2601 v2), présenté avec un nouveau design orange et noir. Ce modèle sera distribué jusqu’en 1980.
Enfin, le tout dernier modèle (2601 v3), produit entre 1980 et début 81 ne se vendra qu’à très peu d’exemplaires, coïncidant avec la cessation d’activité de l’entreprise. En 10 ans, il se sera vendu environ 3 000 exemplaires de la machine. Le chiffre peut paraître dérisoire face à des synthétiseurs comme le Yamaha DX7 (180 000 exemplaires), le Roland D-50 (140 000 exemplaires) ou le Korg M1 (250 000 exemplaires), qui quelques années plus tard rafleront la mise. Mais l’ARP 2600 a tout de même tenu dix longues années et s’est imposé dans les années 70 au moment où la musique électronique faisait son apparition auprès du grand public : Oxygène (J.M. Jarre) en 1976, Radio-Activity (Kraftwerk) en 1975, Spiral (Vangelis) en 1977 ou encore Ricochet (Tangerine Dream) en 1975, pour ne citer qu’eux. Il fait ainsi partie de « l’histoire » de la musique électronique.
À la base, l'ARP 2600 a été conçu pour ne jouer qu’une note à la fois (monophonique) ; chaque note produisant le même type de « son ». Cependant, avec un peu de travail, il est possible de programmer un ARP pour exploiter les quatre sources sonores indépendamment les unes des autres et ainsi créer plus d'un son à la fois.
L’ARP 2600 est également l’un des derniers semi-modulaires analogiques avant que n’arrive une nouvelle génération d’instruments (en provenance essentiellement du Japon), plus compacts, avec des mémoires, une interface MIDI, puis l’arrivée du numérique, les synthétiseurs virtuels, etc.
D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si en 2005, la société française Arturia sort une version « virtuelle » en plug-in du célèbre synthétiseur ARP, sous l’appellation : Arturia 2600V (en y ajoutant le séquenceur 1601, ce qui est nettement plus sympa). Le logiciel est toujours au catalogue de l’éditeur en version seule ou bien en bundle avec la V Collection. L’avantage d’une version logicielle : mémorisation des sons et polyphonie.
www.arturia.com
Renaissance d’un mythe
Et nous voici 50 ans après l’apparition du premier ARP 2600. Entre-temps, l’instrument électronique est devenu prédominant dans la création musicale, notamment dans les années 80, pour ensuite se faire plus discret entre mi-90 et mi-2000 et enfin revenir sur le devant de la scène. Mais pas n’importe comment ! Non, après plus d’une décennie où le « virtuel » a dominé grâce aux progrès de l’informatique et aux softwares (séquenceur, plug-in, audio…), voilà le retour en force du hardware et avec un effet « nostalgie », « collector », « vintage » ? Appelez cela comme vous voulez, mais pas un constructeur ne passe à côté de la réédition de ses « best sellers ». Roland avec sa série « Boutique » (le D-05 pour le D-50, le JX-03 pour le JX-3P, TR-08 pour la TR-808, etc.), Yamaha avec son Reface DX (pour le DX7) ou encore Moog qui réédite son modulaire IIIP (à 40 exemplaires et pour 35 000 $ pièce tout de même).
Quoi qu’il en soit, le vintage est au goût du jour ; on se rend compte que finalement, le hardware, l’analogique, le modulaire, c’était quand même bien sympa et que cela sonnait fort ! Un peu comme le retour du disque vinyle…
Donc arrive l’année 2020, et Korg, qui a racheté la marque ARP, sort enfin une reproduction à l’identique de l’ARP 2600, l'ARP 2600 FS (Full Size). A l’identique certes, mais avec quelques petits bonus en plus, dont nous ferons le tour un peu plus loin avec l’interview du sieur Philippe Brodu. Il était en effet surprenant que la marque japonaise commence à rentabiliser son achat en sortant l’ARP Odyssey, qui n’est pas une mauvaise machine en soi, bien au contraire, mais bien loin du mythique ARP 2600. On va se dire que cela leur a permis de faire leurs armes sur ce modèle et ce n’en sera que mieux pour ce qui se prépare, à savoir une véritable bombe !!!
Salle de développement chez Korg.
J’ai eu le plaisir de découvrir et de tester la machine et ce fut une vraie claque. Tout y est : le son, l’aftertouch sur le clavier, les prises MIDI, la qualité extrême de fabrication, sans oublier le flight case pour transporter l’ensemble. Chaque détail a été soigneusement pensé, étudié et produit à la perfection. L’impression d’avoir une machine de 50 ans entre les mains, mais… neuve !
Certes, on peut éventuellement pinailler et vouloir à tout prix l’original, mais franchement, payer entre 10 et 15 000 €, pour posséder une machine de 50 ans avec tout ce que cela implique : réparation, entretien, pièces de rechange… Alors qu’on peut avoir son clone réel pour un prix « abordable » qui, lui, sera garanti 2 ans et dont les composants seront disponibles pendant 10 ans, il n’y a pas photo ! Que les récalcitrants aillent tester la bête avant de se prononcer.
J’ai mis des guillemets sur le tarif car au-delà d’un certain prix, cela fait une belle somme, en l’occurence 3 999 € TTC. Mais je vous invite à faire un test : vous rendre dans le magasin virtuel de votre choix sur Internet, de cliquer dans la catégorie synthétiseurs et de filtrer les réponses (si cela est possible) avec 3 000 € comme minimum d’achat. Vous allez être surpris du nombre d’instruments… L’ARP 2600 est, à mon sens, très bien placé sur le prix par rapport à ce qu’il propose. C’est vraiment la grande annonce de ce début d’année et probablement de l’année 2020. Et pour continuer à découvrir l’instrument, rien de mieux que de s’adresser à la personne chargée de sa distribution en France : Philippe Brodu (voir plus bas).
Quelques fuites...
Le projet devait rester secret jusqu'au lancement du produit, mais le 13 décembre 2019, lors d'un Facebook Live, Jean-Michel Jarre, répondant à une question concernant l'ARP 2600 lance l'info : Korg va sortir un clone à l'identique de l'instrument mythique.
Il n'en fallait pas plus pour aussitôt enflammer la toile. La vidéo fut virale et les fils de discussions sur les forums spécialisés se sont répandus à toute vitesse.
La société nippone ne communiquera pas sur le sujet, bien qu'on imagine le branle-bas de combat dans les locaux de Tōkyō. La seule réponse viendra le 3 janvier, sur le compte officiel Instagram de la marque, sous la forme d’un teaser vidéo d’une vingtaine de secondes présentant un lourd flight-case sur roulettes, poussé puis entrouvert avec aussitôt un fondu au noir sur la date du 10 janvier 2020... Il faudra encore patienter un peu. Mais si l’on regarde les commentaires sous la vidéo, on se rend bien compte que l’effet de surprise ne jouera pas vraiment.
Qu’importe puisque c’est le résultat qui compte : un des instruments les plus emblématiques de la musique électronique qui renaît : l’ARP 2600 !
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PHILIPPE BRODU a plusieurs cordes à son ARP
Marc Caro et Philippe Brodu en séance de test devant l'ARP 2600 original et la ré-édition de 2020.
Pour obtenir les meilleures informations sur la sortie de l’ARP 2600, qui de mieux placé que Philippe Brodu pour nous répondre. Le monsieur « Korg » France (pour être très précis « Korg Division Manager ») a, comme à son habitude, beaucoup de choses intéressantes à nous dire.
Peux-tu nous retracer l’origine de la réédition par Korg de cet instrument mythique qu’est l’ARP 2600 ?
L’histoire commence lorsque Korg fait l’acquisition de la marque ARP, il y a 5 ans. Depuis le départ, l’idée était de faire renaître des instruments faisant partie de la légende mais devenus rares sur le marché. Le premier ARP à ressortir fût l’ARP Odyssey en format 80 % de sa taille originale. Korg, ayant un grand respect pour cette marque américaine, voulait réellement offrir le meilleur aux utilisateurs. Ils ont alors fait appel à David Friend, co-fondateur d’ARP et concepteur de l’ARP Odyssey. Ce dernier, ayant connu 3 variations de filtres et de panneaux frontaux, Korg a voulu offrir tout ceci aux utilisateurs : c’est ainsi que l’ARP Odyssey est arrivé sur le marché en version limitée avec trois modèles différents : le blanc, le noir et doré, et le dernier, noir avec une sérigraphie orange.
Ces trois ARP Odyssey intègrent les 3 filtres des trois différentes générations. De ce fait, le musicien peut choisir son modèle en fonction de sa finition préférée. Au final, il aura le même synthétiseur. Les utilisateurs de longue date d’ARP Odyssey disposant d’un synthé quelque peu fatigué ont alors tous demandé à pouvoir disposer de cette nouvelle édition en taille réelle, avec de grandes touches. Korg produisit alors une série limitée nommée FS (Full Size), assemblée aux USA. Cette version taille réelle fut vendue en très peu de temps. Aussi, Korg édita une nouvelle série, mais cette fois-ci assemblée au Japon et livrée avec un séquenceur pas-à-pas aux couleurs d’ARP. Il est à noter que ces modèles en taille réelle furent également disponibles dans les trois coloris. Durant tout ce temps, une très forte demande des fans de synthétiseurs ne cessait d’augmenter : tout le monde réclamait le retour du modèle le plus iconique et mythique de la marque : l’ARP 2600.
Cette question n’était pas à prendre à la légère, car si la demande sur les réseaux sociaux et forums est toujours importante, il en est tout autre de la réalité commerciale. Prenez par exemple le beau projet Kick Starter de la compagnie ayant racheté Elka pour reproduire le Synthex : le buzz fut énorme sur les réseaux sociaux et tout le monde en voulait un. Lorsque l’appel au financement fut lancé, très peu de personnes ont validé la promesse d’achat, stoppant ainsi immédiatement le projet. Ce fut donc une longue réflexion avant de décider, il y a un peu plus de deux ans, que l’ARP 2600 allait renaître dans sa taille originale et en série limitée. Ceci va permettre à de nombreux artistes de réaliser leurs rêves et de posséder enfin cet instrument mythique devenu si rare (et si cher ! NDLR). Le plus gros problème auquel l’équipe ARP fut confrontée fut de trouver des unités de références en parfait état de fonctionnement. N’oublions pas que l’ARP 2600 souffle ses 50 bougies !
Il y a une anecdote assez incroyable sur l’ARP 2600 original qui a servi à la conception de cette réédition. Peux-tu nous la raconter ?
Effectivement, nous pouvons tous dire merci à Mr Marc Caro (réalisateur, entre autres, de Delicatessen et La cité des enfants perdus - NDLR) ! Je m’explique. L’histoire commence étonnamment avec la marque Arturia, alors que j’étais parti interviewer Marc Caro dans son studio pour le lancement de la V-Collection 6. L’idée de cette vidéo était de filmer les réactions de Marc en testant le Music Easel Buchla modélisé puisqu’il dispose de l’instrument d’origine. C’est alors que je vis que Marc possédait un bel ARP 2600 en parfait état de marche, accompagné de son clavier 3620. Vous pouvez d’ailleurs voir cette vidéo ici :
Au final, Marc était tellement content de cette modélisation que cette vidéo se transforma en remerciement envers Arturia. Lorsque peu de temps après, durant une réunion de développement, Korg-ARP nous annonça la magnifique nouvelle de la renaissance de l’ARP 2600, ils nous firent alors comprendre qu’ils étaient à la recherche de plusieurs unités originales. Celles-ci devaient correspondre à des numéros de série bien précis puisque l’ARP 2600 avait à l’époque subi plusieurs variations selon les productions.
Cette version correspond au synthétiseur original et au clavier 3620 original également. Les différentes productions d’ARP 2600 ont vu le panneau avant changer plusieurs fois pour finir en noir et orange. Dans la version commercialisée par Korg, il s’agit bien du noir et blanc comme l’était l’original. Toutefois, il y eut une importante différence entre les premières et dernières productions : le filtre. Même si dans les deux cas nous avons un 24 dB octave 4 pôles, ils n’utilisent pas le même circuit et de ce fait n’ont pas les mêmes réactions. C’est pourquoi, comme Korg l’avait fait par le passé avec les Odyssey, l’ARP 2600 d’aujourd’hui intègre les deux filtres et un switch sur le panneau avant permettant de sélectionner l’un ou l’autre.
Pour revenir à la conception du modèle, Korg-ARP avait déjà quatre ou cinq unités mais elles correspondaient à d’autres productions ou étaient très fatiguées. C’est alors que je me suis approché de Marc Caro et après vérification, il avait bien les numéros de série correspondants pour le 2600 et le clavier 3620 et en parfait état de fonctionnement. Marc était tellement heureux d’apprendre que l’ARP 2600 allait renaître qu’il accepta de prêter son unité à Korg-ARP pendant une année permettant ainsi de reproduire le modèle à l’identique. Donc, lorsque vous allez jouer et produire sur l’ARP 2600 que vous allez vous offrir, pensez à Marc Caro !
Deux caisses ont été réalisés sur-mesure afin d'expédier l'ARP 2600 de Marc Caro au Japon. |
Au mois d’octobre 2019, l’ARP 2600 de Marc Caro lui est revenu et j’ai eu la chance de recevoir l’un des premiers prototypes. Je l’ai installé chez moi et invité Marc. Nous avons passé la journée tous les deux à comparer les deux unités côte à côte. Cela faisait plaisir à voir tellement Marc avait des étoiles dans les yeux car Korg-ARP avait réussi à refaire l’ARP 2600 à l’identique : ce fameux son unique si musical et si épais, pouvant être si doux et si percussif à la fois, tout y était. Il est important de garder en mémoire que David Friend a supervisé toutes les étapes de développement de cette renaissance.
A gauche, l'ARP 2600 original de Marc Caro, à droite la version Korg.
Quelles sont les différences entre l’ARP 2600 original et cette nouvelle machine ?
Evidement, bien que respectant le synthétiseur et le clavier original, Korg-ARP a amélioré plusieurs points sans dénaturer l’instrument. Celui-ci est livré dans un réel flight case sur roulettes à deux étages permettant de simplifier grandement le transport. Sur le 2600, les sorties asymétriques ont été remplacées par des sorties XLR symétriques. Et pour avoir longuement travaillé dessus, je peux vous dire qu’il y a de la dynamique. J’enregistre souvent directement la sortie de l’ARP 2600 sur mon enregistreur Korg MR-1000 : même avec les gains d’entrées au minimum, il peut m’arriver d’écrêter.
Marc Caro chez Philippe Brodu, afin de tester le prototype du nouvel ARP 2600. |
Coté flanc gauche, vous allez trouver 3 prises MIDI : IN – OUT - THRU ; je l’écris car cela devient tellement rare de nos jours qu’il est important de le signaler. L’assignation du canal MIDI se fait par des « Deep switch » situés juste à côté des prises MIDI. Vous trouverez également un port USB/MIDI permettant la connexion directe avec votre ordinateur. Sur le panneau avant, vous trouverez aussi un switch supplémentaire permettant de basculer entre le filtre des ARP 2600 de première génération et celui des modèles de dernière génération. Avant de vous lancer dans des comparatifs sonores, il est donc important de connaître le filtre dont vous disposez sur le modèle d’origine et d’assigner ce même filtre sur le nouvel ARP 2600.
Le clavier 3620 dispose aussi de nouveautés : il intègre un séquenceur doublé d’un arpégiateur ! De plus, son clavier est sensible à l’aftertouch. Bien évidemment cet aftertouch dispose d’une sortie pouvant être patchée sur le modulateur de votre choix. Je ne peux que recommander aux lecteurs, lorsqu’ils viendront l’essayer, de bien faire attention à la qualité du clavier : celui-ci est l’un des meilleurs toucher de synthé que j’ai pu avoir sous les doigts depuis très longtemps.
Quelques détails du nouvel ARP 2600 : MIDI & USB / sorties XLR / nouveau clavier 3620. |
Tu parles de l’aftertouch du clavier, mais quid de la vélocité ?
Le clavier bénéficie d’un Keybed (mécanique clavier) de très haute qualité en comparaison du modèle original. De plus, ce Keybed est doté d’aftertouch. Cette nouvelle version du 3620 permet donc d’envoyer l’aftertouch pour moduler le ou les paramètres de son choix. L’Aftertouch est un contrôleur On/Off, j’entends par là que, soit j’en ai, soit je n’en ai pas ; il n’y a pas d’étapes intermédiaires contrairement à la vélocité. Le module synthétiseur 2600 n’étant pas conçu pour réagir à la vélocité, il n’y a pas de vélocité.
Tu as un prototype depuis plus de 2 mois en test, quels sont tes sensations avec ce synthétiseur ?
Je vais être très clair : si je ne devais garder qu’un seul synthé chez moi, ce serait sans aucune hésitation celui-ci. En fait, avant que ce beau projet de renaissance ne démarre, comme beaucoup je connaissais la réputation de ce synthétiseur mythique et j’avais pu assister à de courtes démonstrations par des utilisateurs chevronnés comme Olivier Grall ou Clément d’ALB. Mais je ne soupçonnais absolument pas cette sensation qu’il procure lorsqu’on l’a au bout des doigts : le son est réellement organique et le moindre mouvement sur un curseur fait réagir celui-ci immédiatement.
Il arrive souvent d’avoir l’impression que l’instrument vit. Comme je le mentionnais plus haut, le son peut être percussif, profond et incroyablement épais, mais peut être aussi très doux, fin et musical. Pour les amoureux de musique expérimentale, il module sur plusieurs plans donnant toujours un relief que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Pour parfaire le tout, la qualité de son clavier procure un réel plaisir de jeu. Pour être franc, depuis que je l’ai, je passe quasiment toutes mes soirées dessus.
C’est une édition limitée. Combien de pièces seront disponibles pour le marché français et à quel prix ?
Comme pour l’Odyssey, Korg-ARP a décidé de conserver le côté collector avec une série limitée de 1 000 exemplaires, afin que l’instrument puisse prendre de la valeur dans le temps. Ceci est plus qu’appréciable à l’heure où l’on voit de trop nombreux synthés jetables arriver sur le marché. Il n’y aura que 50 unités pour la France, qui seront livrées au compte-goutte. Je ne peux donc que conseiller aux personnes désireuses de profiter du retour de ce synthétiseur mythique à un prix raisonnable, de le réserver au plus vite auprès de leur revendeur français.
Il est important de noter que, comme pour le prologue OSC, l’ARP 2600 acheté au travers du réseau de revendeurs français bénéficie de cadeaux fortement appréciables. Nous avons voulu ainsi marquer le fait qu’il s’agit d’une Edition limitée collector, avec les éléments suivants :
- 1 certificat d’authenticité avec incrustation, le document que l’on rêve de mettre en cadre dans son studio ;
- 1 maquette de l’ARP 2600 du plus bel effet ;
- 5 cartes postales collector retraçant l’histoire de la renaissance de ce synthétiseur mythique ;
- 1 cahier de notes d’une cinquantaine de pages pour noter ses propres patchs ;
- 1 porte-clé collector ARP 2600.
La maquette collector de l'ARP 2600 vendue avec l'instrument.
Où pourra-t-on se procurer l’ARP 2600 ?
Il sera disponible auprès de tous les revendeurs d’instruments électroniques en France.
Des démonstrations de l’instrument ou une tournée sont-elles envisagées ?
Effectivement, devant ce si bel instrument, Michel Deuchst et moi-même n’avons pu réfréner cette envie d’aller montrer cette merveille auprès du plus grand nombre des musiciens. Nous allons donc partir en tournée "Analog & Co" en France pour plusieurs dates durant lesquelles seront montrés l’ARP 2600 mais également d’autres belles nouveautés présentées au NAMM à partir du 16 janvier 2020.
- 17 janvier à Paris (Star's Music)
- 22 janvier à Caen (Bonnaventure Musique)
- 24 janvier à Toulouse (Midi Music)
- 25 janvier à Bordeaux (Espace Claviers)
- 28 janvier à Besançon (Data Musique)
- 29 janvier à Dijon (La Clé de Sol)
- 30 janvier à Lyon (Star's Music)
Afin de satisfaire l’appétit de découverte des passionnés de synthés, le coup d’envoi sera donné le 17 janvier au matin, soit à peine quelques heures après l’ouverture du NAMM. Vous allez donc pouvoir venir découvrir et essayer les nouveautés du NAMM sans aller à Los Angeles et sans faire la queue devant un stand bruyant, mais entre passionnés et prendre le temps nécessaire.
FICHE TECHNIQUE ARP 2600 (ORIGINAL)
- Date de commercialisation : 1971 - 1981
- Clavier : séparé de 49 touches (pas de vélocité ni aftertouch)
- Type : semi-modulaire
- Synthèse : analogique soustractive
- Polyphonie : mono
- Multitimbralité : 1
- Oscillateurs : 3 VCO
- VCO 1 : sawtooth / square
- VCO 2 : sawtooth / square / triangle / pulse / sine
- VCO 3 : sawtooth / square / pulse
- LFO : 1 LFO patchable avec les sources et formes de modulation des timbres
- Filtre : 24 dB/octave passe-bas résonnant
- VCA :
- Enveloppe 1 : ADSR
- Enveloppe 2 : AR
- Effet : réverbération à ressort
- Séquenceur : en option avec via l’ARP Sequencer (Model 1601)
- Contrôle : CV/GATE
- Préampli micro avec enveloppe (pour tout signal audio entrant)
- Amplificateur + 2 haut-parleurs (stéréo)
- Sortie audio : 2 x jacks 6,35 mono
- Sortie casque : jack 6,35
- Dimensions :
- Module : 81 (largeur) x 45,7 (hauteur) x 22,8 (profondeur) cm
- Clavier (réf. 3604 ou 3601 pour les premiers modèles) : 88,9 (largeur) 25,4 (profondeur) x 7,62 (hauteur) cm
- Poids : 26 kg (module + clavier)
FICHE TECHNIQUE ARP 2600 FS
- Clavier : 49 touches (avec aftertouch, sans vélocité)
- Polyphonie maximale : 2 voix pour duophonique (normalement monophonique)
- VCO : 3, équipés de curseurs d'accord initial et d'accord fin, et chaque oscillateur peut être désigné comme un oscillateur modulant le LFO ou l'audio
- VCO 1 : Dents de scie, carré
- VCO 2 : Dents de scie, impulsion (impulsion dynamique), triangle, sinus
- VCO 3 : Dents de scie, impulsion (impulsion dynamique)
- VCF : à 4 pôles 24 dB/octave
- Enveloppe : 2. Un bouton "Manual Start" permet de redéclencher les enveloppes à tout moment, sans utiliser le clavier. Le module Envelope offre également des sorties Gate et Trigger
- ENV 1 : ADSR
- ENV 2 : AR, avec un bouton Manual Start pour les déclencher sans utiliser le clavier, et des sorties Gate et Trigger ouvrant la voie à vos modules Eurorack
- VCA : l'amplificateur comporte des entrées de contrôle linéaire et exponentiel, et le réglage de gain initial fournit une sortie continue
- Sample & Hold
- Sorties audio : 2 x XLR + mini-jack 3,5 mm mono
- Sortie casque : jack 6,35 mm
- Entrée audio : mini-jack 3,5 mm avec préampli pour traitement source sonore
- Deux haut-parleurs
- MIDI : In, Out & Thru
- Port USB : type B
- Consommation : 30 W
- Dimensions ARP 2600 FS : 836 x 232 x 509 mm
- Dimensions du clavier ARP 3620 : 914 x 274 x 158 mm
- Dimensions de la malette de transport : 980 x 730 x 310 mm (sans les roulettes)
- Poids ARP 2600 FS : 19,3 kg
- Poids clavier ARP 3620 : 11,3 kg
- Accessoires inclus : Mallette de transport, roulettes (x4), cordon d'alimentation, câble DIN 8 broches, câbles de raccordement de 1 100 mm (x5), câbles de raccordement de 600 mm (x5), manuel d'utilisation, manuel original anglais (réplique)
Dossier réalisé par Ludovic Gombert (janvier 2020).