Un artiste est avant tout un être humain et, à ce titre, a lui aussi des passions, des goûts, des amours pour d’autres artistes. Certains se sont connus, d’autres fréquentés, d’autres ont travaillé ensemble ou, juste par admiration un jour, ont écrit une chanson en hommage à l’un des leurs. En voici un florilège…
S’il y a bien quelque chose d’intemporel dans la chanson, c’est l’hommage. Depuis toujours, ce thème a fait l’objet de nombreux morceaux. Ceux-ci peuvent être pour une personne inconnue (ses parents, son frère, sa femme, etc.), pour une personnalité politique, un acteur, un sportif ou tout simplement destinés à un autre artiste. Cet hommage peut alors revêtir deux formes : soit la reprise d'une chanson du répertoire de l'artiste, soit, et c'est ce qui nous intéresse, l'écriture d'une chanson dédiée. Un exercice beaucoup plus intime.
Les plus prolifiques
Certains chanteurs ont une écriture féconde quand il s’agit de rendre hommage. A ce titre, Renaud est un excellent exemple. Lorsqu’il ne fustige pas la bêtise humaine au travers de textes cinglants, il laisse la part belle à de vibrants hommages aussi bien personnels (Morgane de toi pour sa fille Lolita ou Ma gonzesse, pour sa femme Dominique) qu’à d’autres artistes. Dans sa chanson Putain de camion (1988), c’est à son ami Coluche et parrain de sa fille, disparu deux ans plus tôt dans un accident de moto qu’il dédie ces mots : «T’étais un clown mais t’étais pas un pantin / Enfoiré on t’aimait bien / Maintenant on est tous orphelins / Putain d’camion, putain d’destin / Tiens ça craint.» Toujours dans le même album, on trouve le titre Johnathan, dédicacé à son ami Johnny Clegg qui lutte en Afrique du Sud contre la ségrégation raciale grâce à ses chansons. Citons enfin son allusion à Eddy Mitchell dans le début de Chtimi Rock.
Dans un autre registre, c’est un clin d’œil à Capdevielle, Lavilliers et Cabrel dans Ma chanson leur a pas plu, de l’album Morgane de toi (1983). Il récidive en 1991 dans Marchand de cailloux avec Roch Voisine et Jean-Jacques Goldman. L’ironie est toute de même bien plus prononcée dans ce texte. En revanche, c’est dans son dernier album, Boucan d’enfer (2002), album de la résurrection qu’il offre cette chanson magnifique, Mon bistrot préféré, dans laquelle ses idoles et ses potes se côtoient : Gainsbourg, Vian, Brassens, Ferré, Brel, Bobby Lapointe et de conclure : « Ils sont bien plus vivants dans ma mémoire au moins / Que la majorité de mes contemporains / Si demain la faucheuse vient me prendre la main / Pourvu qu’elle me conduise au bistrot des copains. »
Quittons Paris pour Toulouse car Claude Nougaro est également très en verve lorsqu’il s’agit de rendre hommage. En effet, dans la chanson Rock à Renaud, il est facile de deviner à qui il s’adresse : «Il porte un nom de bagnole / Mais il préfère les bateaux / En c’qui concerne la fiole / Y a du Viking et y a du poulbot». Mais Nougaro c’est bien sûr le jazz, avec notamment Armstrong (pour Louis Armstrong) : «Armstrong, je ne suis pas noir / Je suis blanc de peau» ou encore Harlem, en hommage à Charlie Mingus, sur une musique de ce dernier (Fables of Faubus) : «Tiens, v’la Mingus / J’ croyais qu’il était mort / L’olibrius a toujours du ressort». Et puis, il y a Comme une Piaf : «Comme une Piaf au masculin / J’voudrais pouvoir chanter le bottin / Et vous r’muer les intestins / Comme une Piaf au masculin». Comme toujours chez ce jongleur de la langue française, qui a rejoint bien trop tôt le bistrot préféré de Renaud, les mots sonnent juste.
Les plus cités
Piaf fait partie des artistes qui ont reçu le plus d’hommages de la part des leurs. Elle arrive parmi les premiers avec, comme vu précédemment, Nougaro, mais également Léo Ferré qui nous gratifie de cette somptueuse chanson A une chanteuse morte. L’histoire raconte que ce morceau devait figurer sur son album de 1967 (où l’on trouve quelques perles comme La marseillaise, Salut Beatnick, On n’est pas des saints…). Or, Eddie Barclay la censure car elle attaque Mireille Mathieu (elle aussi sous contrat chez Barclay) et surtout Johnny Stark, son manager. Cela se finit au tribunal où Ferré sera débouté. La chanson ne sortira finalement que bien plus tard, dans une intégrale.
De son côté, Serge Lama écrit un texte magnifique pour la môme Piaf, sur une musique de Maxime Le Forestier, c’est Edith (1970), hommage posthume, avec des mots au vitriol pour tous les charognards qui volent au-dessus de sa mémoire : «Tes amis entendent ta voix / Qui les appelle / Mieux que la vermine et le temps / Ils rongent ton âme en fouillant / Dans tes poubelles.»
Un autre grand artiste qui a eu les faveurs de plusieurs chansons, c’est Daniel Balavoine. En premier lieu, on se doit de citer France Gall/Michel Berger avec Evidemment qui, sans jamais nommer Daniel, nous offrent certainement l’une de leurs plus belles chansons : «Evidemment / On rit encore / Pour les bêtises / Comme des enfants / Mais pas comme avant». Sous-entendu que l’on devine aussi dans le clip vidéo, tourné en quatre jours en Italie et réalisé par Michel Berger. Peu de gens le savent, mais la première chanson originale composée pour Lara Fabian, L’Aziza est en pleurs, sortie en 1986 était en hommage à Balavoine. Elle la chanta en public le 31 décembre 1986 à Bruxelles pour le gala de départ du Paris-Dakar 1987 : «L’Aziza est en pleurs / Dans le vent du désert / Le coeur et l’aventure / Ont perdu leurs enfants». Détail amusant, les organisateurs n’avaient pas vraiment lu le texte en entier avant d’engager Lara, car la chanson conclu sur ces paroles : «Dans le bruit des moteurs / Et des hélicoptères / Les scrupules ont vécu / La fête continue!».
Catherine Lara dédiera la chanson I.E.O. (1987) également à Daniel tandis que Francis Cabrel lui composera Dormir debout (album Sarbacane – 1989) : «J’ai dû dormir debout / Pas un mot, pas un geste / L’homme qui pouvait sauver l’amour / Est parti sans laisser d’adresse.» Enfin, Renaud Hantson, qui faisait partie du ”clan” Berger (La légende de Jimmy, Starmania 88…) écrira la Elle reste seule (album Petit homme – 1990), et la dédiera à Coco, la femme de Daniel Balavoine : «Mais toujours elle sourit / La mémoire qui fait mal / Quand elle cherche l’oubli / Maintenant qu’il est parti.» Quatre ans plus tard, il composera Apprendre à vivre sans toi (album Des plaies et des bosses), cette fois pour France Gall en hommage à Michel Berger : «Evidemment il y a ces photos / Ce piano blanc muet / Ces quelques mots d’amour / Qui laissent un goût amer en nous.»
De Barbara à Brassens
En 1998, dans l’album Acoustique, Liane Foly témoigne sa passion pour Barbara avec Dame brune : «Dame brune, un matin de brume / A recouvert le piano / De longues plumes d’oiseau / Des roses ont versé des sanglots.», tandis que Georges Moustaki vingt ans plus tôt, en 1967, avait écrit ce duo avec Barbara, La longue dame brune : «Je suis la longue dame brune que tu attends / Je suis la longue dame brune et je t’entends / Chante encore au clair de la lune, je viens vers toi / Ta guitare, orgue de fortune, guide mes pas». Barbara ne voulant pas chanter cette chanson seule avait entraîné Moustaki dans ses tournées, alors peu connu du grand public. C’est lors d’un concert où cette dernière s’était trouvée mal, qu’il fit ses débuts sur scène.
Mars 1991, Gainsbourg nous quitte, printemps 2003, Monsieur Eddy sort l’album Frenchy avec Au bar du Lutétia, en hommage à sa ”vieille canaille” : «Y’a des filles ne vivant que du string minimum / Qui rôdent autour de lui... des clients éméchés / Qui écoutent, amusés / L’homme à la tête de chou / Qui s’en fout». Petite musique d’ambiance de piano-bar, voix suave… Rien à voir avec Et la voix d’Elvis en 1977, qui sur un air de rock chantait : «Le vieux James Dean était déjà mort / Mais Elvis Presley avait son disque d’or / Et la voix d’Elvis chantait Good Rockin’ tonight.»
Si Alain Souchon aime bien nous faire partager ce (et ceux) qu’il aime et ce (ceux) qu’il n’aime pas, Foule Sentimentale en est la preuve vivante, c’est avec la chanson Jonasz (album Rame – 1980), qu’il rend hommage à son ami Michel Jonasz : «C’est comme un pansement sur le cœur qu’on a / Cet homme qui pleure sa vie / On s’dit : Tiens, y a pas que moi / C’est l’âme à l’âme qui colle / Ces Jonasz paroles.», ou encore ce clin d’œil à Bob Dylan dans son texte Les regrets (album C’est déjà ça – 1993) : « De mal penser, la faiblesse / De n’avoir pas fait d’études / Les chansons de ma jeunesse / Et de Robert Zimmermann, l’altitude.», puisque, pour ceux qui l’ignoreraient, Robert Zimmermann est le vrai nom de Bob Dylan.
À propos de Jonasz, celui-ci arrivera à placer pas moins de dix des plus grands noms d’artistes de jazz dans une seule et même chanson grâce à son tube La boîte de Jazz (album Unis vers l’uni) qui, en 1985, envahira les ondes radio et nos platines CD : Dizzy Gillespie, Charlie Mingus, Duke Elligton, Oscar Peterson, Lionel Hampton, Scott Hamilton, Jimmy Smith, Charles Thomson, Mahalia Jackson et Mac Pherson… Rien que ça ! Dans ce même album, il enfonce le clou avec le titre Ray Charles, celui qui lui a donné l’envie de faire du piano : «Ray Charles est-ce que tu le sais ça / Je mettais de la peinture noire sur mes dix doigts / Pour essayer de jouer alléluia jouer comme toi / Jouer comme ça.»
Dans un autre registre, en 1986, au travers d’un 45T, Laurent Voulzy fait sa déclaration à Kim Wilde avec le très synthétique et énergique Les nuits sans Kim Wilde : «Sur mon flipper noir / Où tout seul je frime / L’effigie d’ma rock star / M’assassine.», qui verra la belle blonde faire les cœurs à la fin de la chanson. On les verra d'ailleurs en octobre 2006 dans une émission de Michel Drucker reprendre cette chanson, avec en prime Alain Souchon !
À la même période, France Gall sort son album Babacar (1987), écrit bien sûr par Michel Berger avec la chanson Ella, elle a, dédiée à Ella Fitzgerald : «Ella, elle l’a / Ce je ne sais quoi / Que d’autres n’ont pas / Qui nous met dans un drôle d’état». Ce n’était pas un coup d’essai puisqu’en 1980 dans l’album Paris - France, on pouvait trouver Il jouait du piano debout, hommage à Elton John, sans jamais le nommer, avec qui France Gall fera, la même année, le duo Donner pour donner.
Jean Ferrat a lui aussi contribué à la chanson hommage avec en 1966, Pauvre Boris : «Tu vois rien n’a vraiment changé / Depuis que tu nous a quitté / Les cons n’arrêtent pas de voler /Les autres de les regarder.» Fidèle à lui-même, Ferrat dresse un portrait satirique de l’après Boris Vian. Tandis que trois ans auparavant, c’était à un autre grand nom de la chanson française qu’il s’adressait avec A Brassens : «Toi dont tous les marchands honnêtes / N’auraient pas de tes chansonnettes / Donné deux sous / Voilà qu’pour leur déconfiture / Elles resteront dans la nature / Bien après nous.» Encore une belle preuve de lucidité !
De Brel à Polnareff
Il y a aussi cette magnifique chanson de Dalida pour Jacques Brel, Il pleut sur Bruxelles (1981) : «Y a Jeff qui fait la gueule / Assis sur le trottoir / Depuis qu’il est tout seul / Il est pas beau à voir». Ce n’est pas la plus connue de son répertoire. Elle a été écrite par Jeff Barnel, qui travailla de nombreuses années pour l’artiste et lui composa entre autres Mourir sur scène.
Deux ans après la mort de la chanteuse Carole Fredericks, en 1994, Michael Jones qui, avec Jean-Jacques Goldman, formaient le trio Fredericks-Goldman-Jones, chante Un dernier blues pour toi, écrit par Jacques Veneruso (ancien membre du groupe Canada et fidèle collaborateur de l’équipe Goldman), une chanson émouvante : «Mais je te promets petite sœur / Même si je devais me brûler les doigts / J’aurais toujours la force de refaire / Un dernier blues pour toi.»
Goldman qui de son côté et dans son dernier album (Chansons pour les pieds – 2001) rend hommage au groupe Statut Quo avec The Quo’s in town tonite : «Il a pris le train postal juste avant la nuit / Il en rêve au rythme des rails / Oh demain c’est la nuit de sa vie / The quo’s in town tonite.»
Hormis Piaf ou Barbara, peu de femmes ont eu droit à des hommages. C’est chose réparée par Miossec qui, sur l’album Brûle en 2001 avec la chanson Madame, signe un texte parfait pour Juliette Gréco : «Elle était de ces femmes qu’on embrasse sur les yeux / Dont on tombe sous le charme comme on tombe sous le feu / Elle était de ces femmes qui ne laissent pas les hommes silencieux / Dont on tombe sous la mitraille rien qu’en croisant ses yeux.»
Quant à William Sheller, il dédie à son amie Catherine Lara en 1977 dans l’album Symphoman, la chanson Catherine : «Et si j’ai fait cette chanson pour toi / Sans me soucier des commentaires / C’est pour t’offrir un peu à ma manière / Un premier souvenir de moi.». Cette dernière l’accompagnera au violon sur le titre. Romain Didier a, quant à lui, mis à l’honneur Francis Lemarque avec en 1986 la chanson Chante-moi Mathilda, ainsi que Ferré sur le très beau Français Toscan de Monaco : «Avec toi, tout s’en va vau-l’eau / Qu’est ce qu’il nous reste à la télé ? /Dans une époque qui joue mollo / Qui c’est qui va venir gueuler / Depuis que t’es parti, Léo / Français toscan de Monaco ?».
Pour terminer, citons une des plus récente chanson hommage, celle de Pascal Obispo pour Michel Polnareff avec Fan (de l’album éponyme – 2004) : «Si j’existe / Ma vie, c’est d’être fan / C’est d’être fan / Sans répit, jour et nuit». Souvent comparé et souvent critiqué par rapport à cet artiste, Obispo prend tout le monde à contre-pied et avec talent, montre une fois de plus son potentiel créatif. Une tournée concept suivra, basée sur la reprise des chansons de Polnareff et le clip vidéo Fan, dans lequel Obispo prend l’aspect physique de ses idoles (AC/DC, Freddie Mercury…).
La liste n’étant pas exhaustive, il se peut qu’une ou deux chansons aient été oubliées. Que les auteurs me pardonnent…
Dossier réalisé par Ludovic Gombert en octobre 2005 pour le magazine Chanson Mag