De Starmania au Chanteur, en passant par l’Azziza, Mon fils ma bataille ou Sauver l’amour, du Paris-Dakar à l’Ethiopie, de ses coups de gueule à ses coups de cœur, jusqu’à sa disparition tragique, Daniel Balavoine aura marqué une génération. Vingt ans après, il est toujours présent à travers une fondation, ses morceaux plus que jamais diffusés à la radio et dans le cœur de millions de personnes. Retour sur l’histoire d’un révolté qui n’avait que deux armes : l’amour et la musique…
Daniel Balavoine est né en février 1952 à Alençon en Normandie. Il est le dernier d’une famille de sept enfants dont Xavier, disparu à l’âge de14 mois d’une méningite. Cela aura pour conséquence qu’on redouble d’attention pour Daniel, qui se considère, à tort, comme un «remplaçant». Un an plus tard, toute la famille déménage dans le sud-ouest, d’abord à Bordeaux, puis à Biarritz. En 1959, Daniel entre au pensionnat à Hasparren, dont il gardera un mauvais souvenir par rapport à la discipline (porter une blouse), il fuguera même une fois. L’année suivante, ses parents se séparent.
Premiers pas dans la musique
Malgré quelques tentatives de piano vers l’âge de 10 ans, Daniel vient à la musique aux alentours de 17 ans. Alors qu’ à cette époque il envisage plutôt une carrière dans la politique ou du moins dans un métier public, il récupère la guitare que son frère aîné a délaissée pour se consacrer à ses études de médecine. Il se lance alors dans les bals et les MJC de la région de Pau en reprenant, entre autres, les standards de Dylan et des morceaux de rock. Plusieurs groupes voient le jour jusqu’à Réveil.
A partir de ce moment, il décide de se consacrer à sa musique et monte sur Paris en 1971 avec son groupe. Devant les difficultés, les musiciens abandonnent et seul Daniel continue. Il rencontre alors une partie du groupe Présence, connu dans la pop musique et qui vient de se séparer. Il devient alors leur nouveau chanteur et croise lors de concerts, un autre futur grand nom de la scène française, Jean-Jacques Goldman, alors membre du groupe Phalanstère. Mais le succès n’est toujours pas au rendez-vous et le 45 Tours signé chez la maison de disques Vogue se vend pas. Il quitte Présence l’année suivante.
En 1973, Daniel et son frère Guy font partie de la troupe de la comédie musicale La Révolution Française qui comporte dans ses rangs les Martin Circus (groupe phare du début des années 70), Dani ou encore Alain Bashung. Ils enregistrent donc d’abord le disque, puis se produisent sur la scène du Palais des Sports. A cette époque, Balavoine devient le choriste de Patrick Juvet. Leur complicité est totale et Patrick demande à Daniel de lui écrire quelques textes sur son album Chrysalide. Au final, il lui laissera même chanter le titre Couleurs d’automne. L’album est signé chez Barclay.
Le déclic Léo Missir
Responsable des services artistiques pour la maison de disques Barclay, Léo Missir découvre l’album de Juvet avec la chanson chantée par Balavoine. Tout de suite frappé par le timbre de voix particulier, il veut aussitôt le rencontrer. Immédiatement, le contact passe entre les deux hommes. Daniel demande l’impensable pour un artiste débutant : un album par an, une totale liberté, le choix des chansons, des musiciens et de l’ingénieur du son. Léo accepte aussitôt. Daniel signe le contrat et commence dans la foulée à préparer son projet d’album.
En mars 1975, contre l’avis de la profession qui trouvait que Balavoine n’avait ni la voix ni le physique pour réussir, sort De vous à elle en passant par moi. Le succès n’est pas au rendez-vous.
Il faudra attendre deux ans pour voir arriver Les aventures de Simon et Gunter… Stein. Un album-concept racontant l’histoire de deux frères séparés par le mur de Berlin et qui correspondent par lettres. Le succès n’est pas non plus au rendez-vous mais cet album permet à Michel Berger de découvrir Daniel et de lui proposer le rôle de Johnny Rockfort dans la comédie musicale Starmania. C’est tout de suite une complicité qui s’installe entre ces deux artistes et Michel écrira SOS d’un terrien en détresse pour la tessiture extraordinaire de la voix de Balavoine.
Starmania et Le Chanteur
En 1978 sort le double album studio de Starmania et aussitôt, les morceaux s’enchaînent sur les ondes radiophoniques. Dans la foulée, il lui faut sortir son nouvel album solo et après deux échecs, il n’a plus le droit à l’erreur. Mais à 26 ans, avec une carrière déjà bien remplie, il a désormais une solide expérience.
Il travaille d’arrache-pied sur l’album dont le premier 45T, Le chanteur, non prévu au départ et qu’il aura écrit en moins d’une heure, dans l’urgence, en sera le titre. C’est pourtant avec cette chanson que sa carrière va exploser. Plus d’un million de 45T vendus et presque autant d’albums.
Dans le même temps, Daniel découvre la scène à travers Starmania qui se produit entre avril et mai 1979 à Paris (avant de partir pour Montréal) avec le succès que l’on connaît. Une anecdote sur ce spectacle, qui met en avant le caractère «basque » et explosif de Daniel nous est relatée par Michel Berger dans une émission de Michel Denisot : « Je me souviens un jour d’un type qui sifflait dans la salle, un petit sifflet continu, du début à la fin du show. Daniel avait repéré le siffleur et il est descendu parmi les spectateurs, à la fin du spectacle, avec son costume d’extra-terrestre, lui casser la figure au moment où tout était rallumé. C’était un moment absolument extraordinaire. Ca lui ressemblait vraiment ».
Je ne suis pas un héros
Toujours en 1979, sort le quatrième album Face amour, face amère. Au fil du temps, les textes se font plus précis, plus directs : C’est la fin du monde / Donnons-nous la main / La vie n’attend rien / Que la mort au bout du chemin. Toujours ce pessimisme et ce rapport ambigu avec la mort que l’on retrouvera tout au long de sa carrière : J’veux mourir malheureux / Pour ne rien regretter (Le chanteur) ; J’ai pas choisi le début / Je choisirai pas la fin (Ces petits riens) ; Y’a toujours un dernier tour / Dans la vie un dernier jour / Un tour de trop (10 000 mètres) ; Si vous passez sur la place / Pour venir me ramasser / Surtout ne cherchez pas la trace / C’est dans le dos qu’on m’a tiré / Devinez dans quel sens j’allais (Viens danser) ; On ne pouvait plus rien faire / C’est écrit sur son tombeau / Parti en faisant / un voyage de trop (Poisson dans la cage) ; Le Blues est blanc / Quand le cœur broie du noir / Pour la mort on verserait des arrhes (Le blues est blanc) et bien sûr, Et j’ai souvent souhaité / Partir avant les miens (Partir avant les miens).
Début 1980 (janvier/février), Daniel fait l’Olympia, une consécration et comprend que la scène est faite pour lui. Le mois suivant, c’est le scandale. Invité dans le journal télévisé d’Antenne 2 (maintenant France 2), face aux journalistes et à François Mitterand, alors candidat à l’élection présidentielle, excédé de ne pouvoir parler, il s’énerve, veut quitter le plateau mais François Mitterand lui demande de rester.
Qu’à cela ne tienne, en quelques minutes, il va prendre la parole : « C’est le système de l’information française qui est fait comme ça. J’aurai le temps une minute de m’énerver, de passer pour un petit merdeux et un petit jeune qui fout la pagaille partout. Je préfère m’en aller tout de suite. Si j’avais su que je ne pourrais rien dire, j’aurais dormi beaucoup plus tard (…) Vous avez parlé pendant au moins dix minutes de l’affaire Georges Marchais , dont tout le monde se fout strictement. Je vous signale que la jeunesse française se fout de ce que monsieur Marchais faisait pendant la guerre. Ca l’intéresserait plus de savoir ce qui se passe et comment le parti communiste encaisse de l’argent pour le dépenser après, notamment à la mairie de Bagnolet (…) Il n’y a jamais eu un jeune ministre de la jeunesse. Regardez monsieur Soisson, vous n’allez pas dire que c’est un homme représentatif de la jeunesse. Regardez comment je suis habillé. Il sont plus souvent habillés comme moi les jeunes que comme monsieur Soisson… ». Le lendemain, il fait la une des journaux.
La même année, il sort un nouvel album Un autre monde avec dessus une chanson écrite à l’origine pour Johnny Hallyday, Je ne suis pas un héros. Mécontent des arrangements qui avaient alors été réalisés, il avait décidé de la reprendre à son compte. On trouve également des morceaux comme Mon fils, ma bataille (inspiré par ce que vivait un de ses amis), La vie ne m’apprend rien et un duo avec Michel Berger : Bateau Toujours. L’année suivante, un live de son Olympia sortira.
Vendeurs de larmes
Daniel enchaîne les disques rapidement car c’est en 1982 qu’il réalise son nouvel album, Vendeurs de larmes dont plusieurs tubes seront extraits : Vivre ou survivre, Vendeurs de larmes, Soulève-moi… C’est un virage artistique. L’album se veut plus fort, plus rock. L’année suivante, c’est Loin des yeux de l’occident qui sort avec les incontournables Pour la femme veuve qui s’éveille, les petits lolos, Revolucion… Les textes sont engagés et traitent chacun d’un sujet délicat : la drogue (Poisson dans la cage), les dictatures (Revolucion), la condition des femmes (Pour la femme veuve qui s’éveille).
Sauver l’amour
En 1985, Daniel intègre les dernières technologies musicales afin de produire son album Sauver l’Amour, avec l’apparition d’un synthétiseur révolutionnaire, le Fairlight, qu’il est l’un des seuls à utiliser en France (avec également Jean-Michel Jarre). Le son est nouveau et les textes sont de toute beauté. Un hymne à la différence et la tolérance avec l’Azziza et cet appel désespéré à l’amour : Qu’est-ce qui pourrait sauver l’amour ? / Et comment retrouver le goût de la vie / Qui pourra remplacer le besoin par l’envie. C’est l’album le plus abouti, d’une lucidité impressionnante, un constat sur le monde, la vie, l’amour… A la fois inquiet et optimiste. On le sent toujours révolté mais avec un certain recul. Le succès de l’album est immédiat.
Le 14 janvier 1986, pendant le Paris-Dakar, l’hélicoptère transportant Daniel, Thierry Sabine (l’organisateur) et trois autres personnes s’écrase sur une dune. Il était là-bas pour installer des pompes à eau afin de combattre la sécheresse.A presque 34 ans, Daniel nous quitte : le mythe Balavoine peut commencer. Comme tous ces artistes qui portent en eux la révolte, tel James Dean, et qui meurent jeunes, de manière violente, il rejoint la mémoire collective à tout jamais.
Dans les années qui suivirent, de nombreux artistes ont rendu hommage à Daniel au travers de chansons : Evidemment de Michel Berger ou Dormir Debout de Francis Cabrel : J’ai dû dormir debout / pas un mot, pas un geste / l’homme qui pouvait sauver l’amour / est parti sans laisser d’adresse, ou bien lors de reprises, La vie ne m’apprend rien (Liane Foly).
Pour paraphraser ce qu’avait écrit Daniel sur la pochette de l’un de ses album, à propos d’un de ses amis disparu : Balavoine était une pierre de l’édifice. L’édifice tiendra sans lui, mais il n’aura jamais plus la même forme…
Par Ludovic Gombert en 2006 (magazine MusicView n°1)