Laurent Voulzy

Il fallait s’y attendre ! Interroger Laurent Voulzy sur la musique et ses inspirations, ce sont des heures qui s’écoulent, comme suspendues dans le temps… Et au milieu coule une rivière, il nous embarque à bord de ses envies, ses rêves, ses notes qui ne cesseront probablement jamais pour lui…

Une anecdote : en tapant Laurent Voulzy sur un moteur de recherche d’un site Internet, nous sommes tombés sur la bio d’Alain Souchon. Nous demandons à Laurent si tout est normal ? Sa réponse «Mais oui, c’est mon frère ! Mais avez-vous tapé Alain Souchon ?» Oui, nous l’avions fait, mais c’était toujours lui : Alain ! «Ah ! il y est 2 fois, il m’a piqué quelque chose alors ! Je vais leur dire qu’ils changent, qu’ils mettent Brad Pitt à la place !» C’était un clin d’œil !

Nous avons lu quelque part que le passé est un moteur pour vous, notamment pour des sujets de chansons. C’est bien ça ?
Ce serait très réducteur de dire que le passé est un moteur. En fait, tout est un moteur y compris le passé. J’ai des émotions qui sont des stimulants dans le présent, d’autres qui sont des stimulants dans le passé. Ce n’est pas de la nostalgie, mais ça m’alimente sans arrêt. J’avais des rêves, petit, plus grand, puis adolescent ; probablement qu’ils ne se sont pas réalisés et tant mieux. C’est une espèce de fantasme que j’ai, qui est toujours là et que je cherche. Je peux être dans un lieu en voiture, je me promène, j’entends une chanson à la radio et ça me donne envie d’écrire. Ça peut être une chanson ancienne qui me transporte, je retrouve une émotion forte que j’avais eue à un moment précis, que j’avais oubliée, comme un parfum. C’est peut-être dans ce sens-là que j’ai dit que le passé pouvait être un moteur de temps en temps. Mais il y a plein de choses dans le présent que je trouve excitantes.

Est-ce plus dur aujourd’hui de trouver l’inspiration ? N’a-t-on pas l’impression d’avoir déjà épuisé beaucoup de choses ?
Non, j’ai toujours plein d’envies et de rêves non réalisés, ces rêves que, d’ailleurs, je me crée au fur et à mesure. Il y a sans arrêt des choses qui m’émerveillent et qui m’inspirent dans la musique, mais aussi dans les choses qui m’arrivent dans la vie. Il y a des tas de gens qui créent des tas de choses, et comme je n’ai pas inventé la musique… J’ai bien commencé la musique en entendant les autres, alors je continue à faire de la musique en entendant les autres.

Je suis probablement influencé par la vie, consciemment ou inconsciemment, comme par la musique. Il est des choses que j’entends qui me mettent en ébullition et qui me font battre le cœur plus vite.

Ça peut être n’importe quel style ?
Oui, n’importe lequel, de la musique classique, de la techno, du rock… Parfois, on a des traces invisibles mais qui sont toujours là, comme la corbeille dans l’ordinateur : une fois qu’on a effacé, si on ne va pas chez Norton, on ne retrouve pas. Donc il reste une trace en moi qui s’éveille sur un fait ou une mélodie. Une rencontre dans la rue peut être bouleversante ou tout simplement touchante et me donner l’envie d’écrire. C’est en moi, ça va ressortir à un moment ou à un autre, peut-être jamais, mais en tout cas, je me sens toujours l’envie de créer de la musique, des chansons. Ça s’arrêtera un jour peut-être, mais pour l’instant non, j’ai toujours envie.

Tous les sens sont en éveil ?
Oui, tout est en éveil, je suis comme tout le monde.

Non, cet éveil est plus ou moins développé chez plus ou moins de personnes.
Oui, c’est possible, mais moi, plus ça va, plus je trouve que la vie est incroyable. Elle peut être absolument horrible pour certaines personnes –et on est en pleine actualité dans diverses parties du monde, en Asie notamment, c’est une catastrophe épouvantable- mais nous, quelquefois, on se crée des problèmes. On a assez de problèmes qui peuvent nous arriver dans la vie, de l’extérieur, dans notre corps, mais on se crée des problèmes pour pas grand chose. Je me dis qu’on a une chance, en tout cas moi, j’ai de la chance.

C’est peut-être parce qu’on oublie l’essentiel. Nous devons nous répéter que nous avons cette chance formidable.
Ah oui ! Ça peut être si merveilleux ! Normalement, chaque instant qu’on vit est un instant merveilleux. Si on a la chance d’être encore en bonne santé, de ne pas être terrassé par des douleurs affectives ou économiques, quand tout va, il faut que tout aille. C’est un effort à faire parfois. Je me laisse un peu submerger parfois ! Pour l’instant, je croise les doigts, c’est comme ça. Obligatoirement, ça donne un émerveillement, j’essaye d’en profiter, de le réaliser et d’en prendre conscience. Quelquefois, ça vient tout seul, d’autres fois, ça demande un effort et je me dis «attends, minute, je suis bien quand même !»

Et vous nous le faites partager !
Peut-être, j’essaye de le retranscrire de temps en temps. Quand je fais des chansons, je recherche l’émotion, je cherche à me procurer une émotion et à en tirer le maximum pour m’émouvoir et dans l’espoir d’émouvoir quelqu’un. On me dit perfectionniste, ce n’est pas du tout ça. Je cherche le maximum d’émotion, quelle que soit la chanson dans un style donné. Je cherche à me donner la chair de poule et à émouvoir les gens, ou une personne.

C’est une forme de perfectionnisme, non ?
Ce n’est pas exact. On peut éventuellement appeler ça du perfectionnisme, mais il y a quelque chose de froid dans ce terme. Le perfectionnisme, c’est une conséquence de la recherche de l’émotion maximale, c’est rechercher le beau.

Les grands artistes du passé ou du présent, les peintres, les musiciens, les cinéastes ont probablement cherché l’émotion maximale. Ils l’ont tellement cherchée qu’ils sont arrivés à créer une espèce de règle qui est devenue un nombre d’or, puis une école. A mon avis, les peintres comme Boticelli ou Léonard de Vinci se sont servis de ce qu’ils avaient appris en regardant des tableaux avant, ils se sont inspirés de ce qu’ont fait les autres. Après, ils ont créé eux-mêmes, et je dis que ces gens-là ont cherché l’émotion maximale, laquelle est devenue une règle. Alors on se demande «comment sont-ils arrivés à ça ?» et on s’aperçoit tout à coup qu’il y a une espèce de règle qui devient de la perfection.

Donc non, je ne suis pas perfectionniste comme je l’entends souvent dire, je cherche l’émotion maximale. C’est comme un ébéniste qui fait une table. S’il est amoureux de cette table, il va chercher l’émotion dans sa table. Et s’il la fait bien, il va mettre la cheville en dessous. Les gens vont dire «attends, on s’en fout, tu mets une vis et c’est bon». Non ! Il va retourner sa table, va mettre sa cheville parce qu’il sait que là, et là seulement, elle sera finie. Il pourra la regarder sous tous les angles, l’objet sera fini.

J’ai donc une façon artisanale de faire de la musique. Il faut une part d’inspiration et de l’artisanat.

Laurent Voulzy

 

Il faut travailler sans cesse pour cela ?
Il y a des gens qui vont beaucoup plus vite pour obtenir ça, c’est très bien. Ça m’est arrivé d’avoir une satisfaction assez rapidement, tous les jours ne sont pas pareils, l’inspiration n’est pas la même, on n’est pas dans un état physique identique tout le temps, mais en moyenne, c’est toujours un peu laborieux. Un matin, quinze jours après, il faut que j’écoute avec détachement et que je ressente quelque chose. Quand on est dans le bain, on ne se rend pas compte. Tandis qu’avec du recul, on est nu, comme un nouveau-né, notre regard est un peu vierge, plus neutre, ça donne une distance et là, on ne se fait pas de cadeau.

C’est pour cette raison que cela prend autant de temps ?
Pour moi oui, même pour chercher une musique ou faire un texte. C’est simple, c’est comme en cuisine. On donne des ingrédients (je les ai : j’ai une guitare, des notes de musique, des gens qui ont fait de la musique avant moi et ce que j’amène) et une casserole. On place dix cuisiniers, dix cuisinières, aucun plat n’aura le même goût. On va tous goûter et à un moment, la sauce a pris, on a une émotion ! En musique, c’est exactement la même chose, si on cherche l’émotion, on peut se dire «tiens ! la sauce est parfaite !» Mais le gars n’est pas perfectionniste, il a cherché l’émotion en cherchant sa sauce !

Lorsque vous partez avec Alain Souchon, comment s’organise votre travail ?
Ça dépend. Tout d’abord, quand on part, on part écrire pour l’un ou pour l’autre, comme ça, pas de disputes !

Parfois, il arrive qu’on n’ait rien, aucune idée. Alors, j’ai une guitare, un clavier, lui est à côté, et on cherche des idées, comme ça… Alain peut avoir une envie, je fais deux notes de guitare qui peuvent lui donner une idée, quelque chose à dire… Parfois, il part sur une idée, ça va m’inspirer un début de musique… D’autres fois encore, il peut arriver que j’aie une musique sur laquelle j’ai chanté en pseudo anglais ou un anglais très scolaire, mais je ne sais pas ce que je veux dire dedans. Je lui fais écouter, on en parle, les choses arrivent comme ça. Pour lui généralement, il n’y a pas de musique avant ses textes. Pour moi en revanche, il est arrivé qu’il y ait une musique qu’on modifie en cours de route, mais pour laquelle on est ensemble et on réfléchit sur le texte. Il n’y a pas vraiment de règle.

En concert, c’est aussi la recherche de l’émotion ?
Oui. L’émotion est là, mais c’est différent. Il y a un côté alchimiste dans le travail que je fais en studio, comme plein de gens d’ailleurs. On a des cornues : les instruments, le studio, les consoles, les appareils, etc. C’est un travail plus solitaire qui se fait «dans la pénombre». Tandis que pour la scène, il y a toute une préparation. Je viens d’enchaîner deux tournées. La première suivait la sortie de l’album Avril. J’ai essayé de reproduire les chansons de l’album à l’identique et pour les autres, on prenait des virages. Dans la seconde, hormis trois ou quatre titres, on restait dans l’esprit de la chanson, mais on a essayé de faire le mieux possible avec une formule très réduite (ndlr. moins de musiciens). Ça, c’est la préparation, la recherche de l’émotion musicale. Ensuite, on monte sur scène et là, c’est sportif ! C’est un mélange de sport, d’écoute et d’émotion pure, même pour les spectateurs. J’essaye de donner aux gens ce que j’ai ressenti pendant les concerts qui m’ont beaucoup plu.

J’aime que tout soit extrêmement au point. Une fois que tout est parfaitement calibré, on s’amuse, on peut faire des petits pas à côté. Ça peut être imperceptible, mais c’est ce qui fait que ce n’est jamais pareil chaque soir. C’est un vrai bonheur pour moi d’être pris dans un carcan et de trouver une liberté à l’intérieur. Il y a des contraintes comme la durée d’une chanson, on l’a bien répétée, mais après, il y a le plaisir de la jouer ensemble, le plaisir de l’interpréter, les regards qu’on va s’échanger. L’un va faire un truc un peu différent, mais on sait qu’on va retomber sur nos pieds, ça devient un jeu. Je trouve du bonheur là-dedans ! Chaque soir avant le concert, on fait une balance. J’essaye de rectifier ou d’améliorer quelque chose que j’ai noté la veille. C’est un bonheur d’avoir quelque chose de très au point et d’y trouver de la liberté. Bon, la liberté extrême, c’est le jazz, mais ça, c’est autre chose.

En répétition, on cherche la partie de clavier ou la partie de guitare qui nous plaira le plus, on la teste. A un moment, le haut de la pyramide va se resserrer, on a trouvé le maximum, il n’y a donc aucune raison de changer ça sur scène. Mais c’est quand on a trouvé ce résultat qu’on peut jouer avec. C’est le plaisir que les gens prennent dans les chorales. Chacun de son côté a travaillé sa voix, ils se retrouvent à la fin de la semaine et toute la chorale se met à chanter. Il y a quelque chose d’inexprimable dans ce que ressentent les gens à ce moment-là. Pour nous musiciens, c’est pareil, d’un seul coup, il y a une magie qui se crée.

Et si une petite fausse note vient se glisser ?
Ce n’est pas grave ! Sur la dernière tournée, Thomas (Cœuriot) a joué à la guitare une partie jazz hispanisant dans le Le soleil donne. Ce n’était jamais pareil chaque soir. Alors j’entendais un truc qui me plaisait, je me retournais, je le regardais. C’est un vrai bonheur !

C’est peut-être plus facile en formation réduite ?
Non, je ne crois pas. Prenons un violoniste anonyme qui joue dans un orchestre de 40 violons, si l’ensemble joue bien l’œuvre qu’ils interprètent, il va y trouver du bonheur, même s’il a des velléités de devenir soliste un jour. Dans un orchestre symphonique, il y a moins de liberté, c’est sûr, mais l’ensemble va donner quelque chose de merveilleux.

 

Laurent Voulzy
Avez-vous travaillé sur le DVD Le Gothique Flamboyant Pop Dancing Tour ?
Oui, j’ai activement participé au montage. J’ai tout dérushé. Ça m’a pris un temps fou ! Mais ça me plaît, j’adore l’image. Je me suis régalé à faire ce travail. Il y avait un côté laborieux et un côté nouveau pour moi. J’avais réalisé un clip, mais ça ne dure que 4 minutes, on raconte une histoire, c’est différent. Là, c’est une 1 h 40 de concert. J’ai essayé de retrouver l’émotion qu’on avait sur scène, d’attraper des moments précis, comme le sourire de Manu Katché. On ne le voit pas jouer, mais ce n’est pas grave. Un musicien qui fait un beau sourire, je le mets, parce que c’est ce que je vois sur scène ! Si je fais une fausse note, je sais qu’il y en a un qui va se marrer à côté, je le regarde, il me regarde, c’est une complicité ! Ça compte beaucoup. Il n’y a pas que le fait de jouer, il y a tout le rapport humain qui est intéressant. C’est vraiment passionnant.

Je me suis moins occupé du son, mais j’ai écouté les mixages à la fin, on a fait des petites retouches. Le son et l’image, c’est magnifique !

Ils sont intimement liés aujourd’hui.
C’est vrai oui ! C’est fabuleux ! Et c’est tellement plus facile qu’avant. J’ai pu monter le DVD dans mon studio, avec un matériel qui était impossible à obtenir il y a 15 ou 20 ans, à part dans les studios professionnels. On peut faire du montage à moindre frais. C’est formidable ! Le premier disque que j’ai fait à la maison, c’était en 1981. J’ai tout de suite compris qu’il n’y avait pas besoin d’un super matériel pour faire ce que j’avais à faire. Les musiciens, même peu fortunés qui de toute façon ont fait un effort pour acheter leur premier synthé ou leur première guitare, sont capables de se serrer la ceinture pour acheter un enregistreur numérique. S’ils ont un bon micro, un bon préampli, une bonne guitare, ils vont pouvoir enregistrer chez eux ce qu’ils auraient dû faire en studio avant.Cela ouvre sur un monde formidable. Les gens vont faire leur disque et leur clip chez eux. Le résultat sera ce qu’il sera, le reste est une question de talent.

Ce travail à la maison a-t-il permis de travailler plus facilement ?
Cela m’a permis d’aller au bout de mes fantasmes musicaux, avec des erreurs certainement, mais je n’aurais pas pu me le permettre en studio en comptant les heures et les jours à 10 000 francs. J’ai pu aller au bout de mes envies. Ce que j’ai, c’est l’obstination. Je peux passer des semaines sur un morceau. J’ai discuté avec d’autres musiciens qui ne l’envisagent pas ainsi, ça ne leur plaît pas du tout. C’est un état d’esprit.

Pendant ce travail-là, vous arrive-t-il de râler, vous énerver ?
Je peux m’énerver oui. Je peux avoir des conflits que je regrette toujours. Je n’aime pas ça. J’essaye de les éviter, mais si les gens les provoquent, je peux rentrer dans le conflit sur la défensive en expliquant pourquoi j’agis comme ça. J’essaye aussi de faire mon examen de conscience en disant «si ce conflit a été provoqué, est-ce que ce n’est pas de ma faute ?» Je crois que je suis facile à vivre, mais probablement très casse-pieds quand j’enregistre et quand je travaille. Ce qui peut créer des situations conflictuelles, c’est le temps que je mets.

Pourtant, les gens qui travaillent avec moi sont prévenus, mais je me dis alors que je devrais les prévenir encore plus. Cela pose des problèmes qui s’arrangent toujours parce que ce sont des gens que j’aime, j’ai du respect et de l’affection pour eux. Non, je ne suis pas trop râleur, la seule chose, c’est que je n’aime pas me dépêcher. S’il faut courir dans la vie pour une question vitale, je crois que je suis capable de le faire, mais j’ai plutôt tendance à être lent. C’est paradoxal parce que j’aimerais aller plus vite, mais je n’y peux rien, je ne suis pas content et je ne peux pas servir un truc mal fini, comme une dichotomie : l’un qui veut aller vite et l’autre qui veut prendre son temps.

Mais visiblement, cela n’a pas pas de conséquences puisque les gens reviennent, ils sont fidèles !
Oui, ils sont là ! Mais quand je dis conflits, il n’y en a jamais eu d’énormes. Ça peut craquer en fin de journée parce que je veux refaire telle ou telle chose, et si c’est la quatrième fois que je le refais, les gens disent «bon, tu nous lâches un peu !» Alors je me retrouve un peu seul face à mes problèmes !

Quel est votre rapport avec Michel Cœuriot, votre réalisateur artistique ?
Nous travaillions avec Alain sur sa chanson La Rumba dans l’air. J’écrivais les arrangements et je cherchais un pianiste. On m’a conseillé Michel en disant «il sait tout jouer». C’est là que j’ai rencontré Michel pour la première fois. Mais les premières chansons qu’on a vraiment travaillées ensemble, ce sont Belle-Ile-en-Mer et Les nuits sans Kim Wilde. Il m’apporte beaucoup, et il est plus rapide que moi ! Il fait partie de ces gens qui me poussent. C’est agréable de travailler avec lui. Je tiens à le dire parce que c’est vrai !

Le premier contrat a été signé en 1970, il y a eu des 45 tours, le premier album est sorti en 1979. C’est ça aussi prendre son temps ?
Non, les choses étaient comme ça, je ne me posais pas trop de questions. J’étais content d’avoir fait un premier disque, on m’a laissé en faire un second, puis un troisième, un quatrième. Je faisais un 45 tours par an qui ne marchait pas bien d’ailleurs. Entre-temps, je faisais du porte à porte pour placer mes chansons, j’ai commencé à faire des arrangements pour des chanteurs, je gagnais un peu d’argent. En 1973, j’ai rencontré Alain Souchon, on a donc commencé à écrire des chansons ensemble. Avec J’ai dix ans, j’ai pu afficher pour la première fois un hit parade dans ma chambre, c’était moi qui jouais la guitare, c’était moi qui avais fait la musique, j’étais plus qu’heureux, c’était un rêve ! Depuis l’âge de 15 ans, j’écoutais les hit parade à la radio avec des chansons qui me faisaient rêver ! Mais je n’avais pas de succès en tant que chanteur. Heureusement, j’avais d’autres satisfactions musicales et je commençais à vivre de la musique. Mon premier succès en tant que chanteur a été Rockollection en 1977.

La maison de disques m’a laissé faire, ça ne leur coûtait pas trop cher. Ils m’ont fait faire un album quand ça a commencé à marcher. Ils m’ont gardé peut-être aussi parce qu’ils m’aimaient bien, je n’embêtais personne. Peut-être qu’ils trouvaient mes chansons pas mal et qu’ils se disaient qu’un jour, ça marcherait. J’avais fait J’ai dix ans, J’suis bidon pour Alain. Ils ont dû penser qu’un jour j’aurais la bonne idée de faire une chanson qui marcherait pour moi !

 


LE RÊVE DU PUBLIC
Y aura-t-il un jour un album Souchon/Voulzy ?
On en a parlé, même assez récemment. On se dit qu’on aimerait le faire une fois dans notre vie. En tout cas, faire une scène, peut-être accompagnée d’un album. Ça nous amuserait. Mais c’est spécial parce que nous avons des univers différents, Alain et moi. Il faudrait qu’on trouve des chansons sur lesquelles on sente cette différence, ou trouver des sujets sur lesquels nous pourrions être d’accord. Parfois, on dit la même chose, mais de façon très différente. Il nous faudrait donc trouver le compromis. Ce serait une belle expérience à tenter.

La scène, comme il vous arrive d’intervenir dans vos spectacles respectifs.
Oui, j’adore, on se marre ! Des fois, je viens chanter une chanson avec lui sur scène, c’est génial : je n’ai rien à faire, j’arrive, je me fais applaudir (rires) ! On se regarde, on a du plaisir et les gens sont contents. Quand Alain est venu avec moi sur scène lors de la dernière tournée chanter Le rêve du Pêcheur, je me suis régalé. Je racontais mon histoire, je savais qu’il allait arriver, c’était une jouissance, un vrai bonheur !
Donc peut-être qu’on va le faire, peut-être pas, mais c’est dans l’air. Ce n’est pas d’actualité puisqu’il prépare son album, mais si Dieu nous prête vie, si on a envie, si on est capable de faire des chansons… On verra…

 


LE RÊVE DE L’INTERPRÈTE
Vous composez très peu pour d’autres artistes. Vous travaillez en ce moment pour Nolwenn Leroy ?
Oui, je travaille pour l’album d’Alain et celui de Nolwenn. C’est assez régalant pour moi de faire ça. Ce n’est pas rien un interprète. Je suis plutôt de l’école pop-rock des gens qui ont joué dans des groupes, dormi à la belle étoile et qui étaient payés à coup de lance-pierre. J’ai toujours été plus sensible aux gens qui sont compositeurs et interprètes de leurs chansons. Mais par moments, je suis touché par un interprète. Il peut être un révélateur. Il ne compose pas, ce n’est pas grave ; Edith Piaf, même si elle a composé un peu, était avant tout une interprète qui a donné envie à des gens d’écrire. Ce n’est pas rien ! Elvis Presley était un interprète, ce n’est pas rien !

Il y a un côté précieux chez certains interprètes. J’ai trouvé chez Nolwenn quelque chose qui m’a donné envie. J’ai été touché par le duo que j’avais fait avec elle dans l’émission Star Academy. On m’a demandé d’écrire une chanson pour son album. J’ai écrit avec plaisir Suivre une étoile avec Elisabeth Anaïs, mais je n’étais pas satisfait quand j’ai écouté son premier album. J’ai demandé à réaliser le second -chose que je vais faire en partie- et je compose des chansons. C’est faire quelque chose qui lui va comme un couturier qui essaye d’habiller le mieux possible son modèle.


LAURENT NOUS PARLE DE SES CHANSONS
Il était une fois ses singles…
J’ai toujours aimé les singles. C’est certainement d’entendre des singles qui m’a donné envie d’être dans un groupe (j’ai toujours rêvé d’être dans un groupe, je suis chanteur par défaut). Les Beatles m’ont fait rêver quand j’avais 15, 16 ans. C’est sûrement pour ça qu’il y a beaucoup de chœurs dans mes disques, parce que ça sonne un peu comme un groupe. Il y a quelque chose de mythique dans le single.
Des fois, on craque sur un single qu’on entend à la radio avant de craquer sur un album. Il m’arrive d’être cloué par une chanson dont je ne connais pas l’interprète ni l’album, ça peut être The Verve ou une chanson de de Palmas.
J’ai longtemps joué avec ce jeu du single. En plus, il y avait un côté quitte ou double, c’est-à-dire qu’on ne pouvait pas aller pêcher un autre titre. Un single arrivait comme ça, comme un coup de canon. Il y avait ce côté pop léger. C’est un peu à part, un autre mode que l’album. Si je peux en refaire un jour, je le ferais pour m’amuser, ça me plaît beaucoup !

Il était une fois ses albums…
Dans mes albums, je cherche les singles. C’est très difficile à expliquer parce que ce n’est pas péjoratif. Pour moi, les singles qui m’ont fait rêver et qui ont fait rêver plein de gens, ce sont des chefs-d’œuvre. Penny Lane est un chef-d’œuvre, Amsterdam de Jacques Brel est un chef-d’œuvre. C’est peut-être sur un album, mais elle n’a pas été faite dans ce concept.

Et il y a d’autres chansons, plus intimistes, qui peuvent être extrêmement belles. Dans mes albums, je cherche probablement un panaché de tout cela. Quand je prépare un album, il n’y a pas de réflexion sur une idée de concept. Si vaguement il en paraît un, il est arrivé après. On peut avoir l’impression qu’il y en a, comme dans Caché derrière par exemple, mais ça vient ensuite, en écoutant les chansons telles que Ta plage Beach Boy qui est une quête de l’amour éternel, Le cantique mécanique qui est une chanson sur l’amour, Le rêve du pêcheur, Le pouvoir des fleurs… Même Paradoxal Système qui est aussi profondément moi, rechercher quelque chose d’impossible… Quand j’ai créé cette chanson, Alain m’a demandé ce que je voulais dire, je ne le savais pas. Et les choses se sont décantées, je voyais des images. Quand je l’écoutais en avion en partance pour New York par exemple, ça ne marchait pas. Elle n’avait une vibration, un écho, que lorsque j’étais en France, en Europe, lorsque j’étais dans une zone urbaine, en mouvement. Alors j’ai dit à Alain «c’est comme si je partais quelque part et que j’allais retrouver quelque chose». On a tâtonné, on a travaillé quinze jours dessus, ça n’allait pas, puis on a laissé tomber quelque temps. On a écrit d’autres chansons comme Bungalow vide… Et puis des mois plus tard, on est revenus dessus. Alain avait écrit cette phrase «Dans la nuit, les trains voyagent». J’ai pensé «c’est ça la chanson !» Elle exprime de quitter quelque chose qu’on aime et partir vers quelque chose d’inconnu, chercher l’amour ailleurs. J’adore cette chanson.

J’ai retrouvé quelque chose d’introuvable, d’inquantifiable, dans beaucoup de titres. Alors je me suis dit que ce pouvait être le reflet de l’album. C’est probablement pour tout ça que l’album s’est appelé Caché Derrière. Pour un album, on part sur une aventure un peu plus longue, mais je ne la pense pas comme une aventure globale, je fais des chansons au coup par coup.

Ce que les chansons expriment…
Probablement qu’au résultat, les chansons correspondent à des périodes de vie. Bopper en larmes a été écrite à une époque où j’étais un peu «fracassé» sentimentalement. Toutes les chansons sont plus ou moins autobiographiques, un peu arrangées parfois comme Karin Redinger, mais la base est autobiographique.
J’essaye toujours de faire le mieux possible. Il m’est arrivé de belles histoires avec toutes ces chansons, des rencontres. C’est plein de cadeaux pour moi.

 

Il fallait s’y attendre ! Interroger Laurent Voulzy sur la musique et ses inspirations, ce sont des heures qui s’écoulent, comme suspendues dans le temps… Et au milieu coule une rivière, il nous embarque à bord de ses envies, ses rêves, ses notes qui ne cesseront probablement jamais pour lui…

 

Propos recueillis par Maritta Calvez et Ludovic Gombert en décembre 2004 pour le magazine MusicView

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