Un an et demi déjà que son premier album La moitié des choses a vu le jour et il n’a pas fini de faire parler de lui. On lui a prêté des influences comme Michel Berger par exemple que, certes, Martin ne renie pas, loin de là, mais qui en réalité sont plus tournées vers le rock californien. Un an et demi plus tard, donc…
L’album ressort bientôt. Que nous réserve-t-il ?
Il comprend un duo avec Marie Gillain sur Les figures imposées. On l’avait fait pour une émission télé et ça nous a beaucoup plu. On a donc décidé de l’enregistrer.
L’idée de ce duo est venue comment ?
Au début, c’était anecdotique pour cette émission dans laquelle il fallait faire des duos chanteur-actrice. J’ai pensé à elle qui est l’amie d’un ami. Il m’avait dit depuis longtemps qu’elle chantait assez juste. Je me suis dit que j’allais lui demander. Et l’anecdote s’est transformée en quelque chose de plus affirmé. De cette façon, le texte a été mis en lumière. Je l’ai toujours chanté seul, mais il y a le «je» et le «tu» qui se baladent dans la chanson, tu pars, je reste… Ça fonctionne bien à deux. Nous l’avons trouvée touchante comme ça… Enfin, langue de bois… «Oui, c’était vraiment formidable, une très grande expérience humaine… !» Non ! Véritablement, c’est très réussi. Moi en tout cas, la version me touche !
L’album a reçu un bel accueil de la part de la presse. Que s’est-il passé depuis ?
Ce que je retiens, c’est que l’accueil presse s’est fait dans la durée. C’est très agréable. Il y a eu des articles très gentils dès la sortie de l’album et puis, en allant chercher un peu les gens, en faisant la première partie de Louis Chedid, en faisant des émissions radio, on a rencontré de plus en plus de monde qui l’ont diffusé. De plus en plus de magazines sont venus à le chroniquer, à demander des interviews, en ont parlé… Tout cela a donné vie à l’album dans tous les sens du terme et dans tous les médias du terme !
Le bouche à oreille a bien fonctionné finalement ?
Oui, sans doute, et le travail et la persévérance non seulement de ma part, mais aussi la volonté du label Atmosphériques qui a permis cela. Ils y ont cru et ne l’ont pas pensé comme un album comprenant de gros tubes marketés. Le seul plan qu’on avait était de se dire «On met les grosses chaussures de marche et on marche !».
C’est probablement agréable de se sentir soutenu sur cette durée.
Exactement oui. Et ce n’est pas fini ! On continue au moins jusqu’au mois de mai puisque je vais faire un concert à la Cigale le 26 mai ! Ça donne une belle durée de vie pour mon album, ce qui n’est pas forcément le cas de tous mes comparses qui sont sortis en même temps.
Avec le recul, quel regard portes-tu sur ton album ?
Il me touche énormément parce que c’est mon premier album et que j’y ai mis beaucoup de choses. Ce sont des chansons que j’ai portées et que je porte encore puisque je les joue sur scène.
Y-a-t-il des chansons que tu travaillerais autrement aujourd’hui ?
Je suis en train de travailler sur le second album que j’ai fini d’écrire. Nous allons l’enregistrer en avril. Donc je sais certaines choses maintenant. Je ne l’aurais peut-être pas fait aussi clean. Le producteur dit «Il faut que le 1er album sente un peu plus les pieds !» Bon, l’expression n’est pas hyper classe… mais il explique bien le truc ! En même temps, ce 1er album est la photographie de ce que j’étais quand je l’ai fait. Comme la pochette d’ailleurs, nous sommes allés en Californie, elle est ensoleillée.
En Californie, vraiment ?
Ah oui, nous sommes allés la faire là-bas, c’est pas Photoshop ! On a voulu faire une pochette de la même façon dont on a conçu l’album, à l’ancienne, sans machines, avec des vrais musiciens. Donc on a déplacé le piano dans le désert !
J’adore cet album, il est exactement comme je l’avais rêvé quand j’ai écrit ces chansons. Aujourd’hui, je pense que j’ai un peu changé… Enfin, pas changé, j’aime la musique californienne, Stevie Wonder, la soul, mais mes premières bases sont la pop anglaise, The Beatles, Bowie. Ils ont un son un peu plus «sale», anglais quoi ! C’est ce dont je vais me rappeler pour le second album.
A force d’entendre toutes ces références, Berger, Sheller, n’y a-t-il pas un moment où tu as eu envie de dire «OK, j’ai des influences, mais je m’appelle Martin Rappeneau, je fais MA musique» ?
Oui, bien sûr. Mais je pense que les gens sont obligés de faire des références en musique. C’est plus difficile de dire «Oui, c’est une musique avec beaucoup de do dièse, de si bémol…» Ça parle moins. On est un peu obligés de mettre une espèce de spectre en citant des références que les gens connaissent. Même moi, j’ai ce réflexe « Ah oui, Queen ! Là, ça me fait penser à Bowie ! » Quand on parle de Placebo, on dit Bowie, The Cure. Donc moi, je joue du piano, je chante en français en parlant d’amour avec une voix haute, un phrasé assez clair… On n’est pas mille. Franchement, je ne cours pas après la référence Berger, ce n’était pas du tout mon intention en faisant l’album. Je l’ai beaucoup écouté, bien sûr, mais ce n’est pas le chanteur que j’écoutais le plus. Pendant une interview, j’ai trouvé cette formule : «Cet artiste a ouvert des portes, je continue à en ouvrir d’autres. Les siennes sont derrière et je continue les travaux.»
J’ai entrevu dans un article le nom d’Andrew Gold, le créateur du titre Genevieve.
Oui, exactement, californien justement !
Alors tes références sont principalement celles-la, non ? Boz Scaggs…
Pour ce premier album, oui. Boz Scaggs ? A fond ! Toto, James Taylor, Carole King… tout le son californien. Josh Rouse aussi qui vient de sortir un album merveilleux. Ce que j’aime dans cette musique californienne et que j’ai voulu faire, c’est sa sophistication évidente. Ce que fait très bien Stevie Wonder qui vient pourtant de la soul, même si c’est Motown et donc de l’est, sa musique a quand même ce côté ensoleillé. Il y a une magie dans ses chansons qui sont parfois harmoniquement très compliquées, mais avec une évidence mélodique, un son très pur et une production très travaillée.
C’est sûr qu’on est loin d’un son sale !
Complètement ! Quand j’ai fait l’album avec Sinclair et Jean-Claude Ghrenassia, nos références étaient Andrew Gold, James Taylor, Stevie Wonder. Mais aujourd’hui, encore une fois, je me rappelle que j’aime aussi Elvis Costello et Joe Jackson et ce ne sont pas leurs influences. Mais tant mieux qu’il ait cette personnalité parce que le rock californien fait partie de ma culture, même si à l’époque de son apogée, j’avais tout juste 2 ans !
Tu regrettes que la presse n’ait pas cité ces artistes ?
Mais Berger était un très grand fan de Steely Dan, Toto et Stevie Wonder. Finalement, Michel Berger a mêlé la musique californienne à la chanson française. Un autre chanteur fait la même chose, c’est Laurent Voulzy et il le fait très bien. Le problème, c’est qu’en France, la presse n’a jamais beaucoup aimé cette musique. La presse spécialisée l’a en horreur, ils se sont battus pour l’éteindre. Et pourtant, quand on y pense, le jingle d’NRJ à leur début, c’était Donald Fagen !
D’ailleurs, Berger n’a jamais été crédité par la presse spécialisée, il a été absolument méprisé, jamais reconnu, «Gentil gars, musique propre…». J’ouvre une parenthèse au sujet de ces mêmes écoles de presse. On dit du cinéma de Jean-Pierre Jeunet «ses films sont propres». A ça, il répond «Il n’y a pas de jugement de valeur artistique à mettre dans la propreté. Ce n’est pas parce qu’on fait des trucs clean que c’est égal à rien. Pour qu’un film soit vrai, on n’est pas obligé que la pellicule soit grasse, que les comédiens ne soient pas maquillés et que la caméra tremble». Comme en musique, pour qu’elle soit vraie, on n’a pas besoin que le guitariste joue faux, qu’il soit punk et sous héroïne. Le Velvet Underground n’est pas du tout ma référence, bien qu’il y ait des chansons extraordinaires de Lou Reed. Les Clash ne sont pas non plus ma référence, bien qu’ils aient eux aussi des chansons extraordinaires.
Il faut avoir deux poids, deux mesures quand on parle de musique. Quand j’écoute de la musique, mon seul baromètre, c’est l’émotion, c’est le frisson, il faut qu’elle me touche. Et je peux avoir les poils qui se dressent sur une chanson d’Andrew Gold comme sur l’album Berlin de Lou Reed.
Tu as dit « Je compose avec la télé allumée pour oublier que je compose ». J’aimerais que tu nous expliques !
Je pense qu’il faut s’oublier dans la création, il ne faut pas se regarder créer. Il faut essayer de faire comme ça vient, comme une vraie poussée de création, quelque chose qui sort de soi, et pour ça justement, il faut sortir de soi ! Donc en regardant la télé, je peux m’oublier. Je prends la guitare, je regarde un truc en coupant le son, je grattouille, et tout d’un coup, une chanson naît. Ça me l’a fait plusieurs fois. Il peut y avoir une musique de film qui va m’évoquer quelque chose et me fera rebondir. Bon, ce n’est pas la méthode ultime… C’est vrai que j’aurais pu dire «Je vais dans une île déserte en Bretagne et j’écoute le bruit de la mer, je compose… !» Mais ce n’est pas vrai !
Tu as écrit certains textes seul, d’autres à deux. Comment cela se passe-t-il ?
Je viens vers les auteurs une fois que les mélodies sont faites. Daisy Nepsy est la seule chanson pour laquelle j’ai pris un texte à une parolière (C. Lesieutre). Sinon, j’arrive avec l’idée, une première phrase en disant «je chante cette phrase, qu’est-ce que ça peut t’évoquer, pourrait-on la tirer ensemble et voir ce qui vient ?» C’est une création un peu en escalier. Les auteurs sont plutôt des filles parce que les chansons parlent de choses à deux, parfois d’histoires de filles avec un regard masculin, mais je ne voulais pas trop me planter et avoir la sensibilité féminine en renfort !
Je me suis dit que j’aurais pu tous les écrire seul, mais d’abord j’aime le dialogue et la collaboration. Et puis, en y mettant vraiment du mien, en souffrant beaucoup pour écrire, j’aurais pu le faire seul, mais je trouvais ça plus intéressant d’écrire à deux.
Ecrire est une souffrance pour toi ?
Ce n’est pas une souffrance d’écrire, par contre, pour écrire, il faut souffrir !!!
Propos recueillis par Maritta Calvez en février 2005 (magazine MusicView n°3)