Zazie

Zazie est toujours surprenante. A chaque album, à chaque tournée, arrive son lot de découvertes. En plus de son interview, vous lirez également ce qu’en disent ceux qui ont travaillé avec elle sur Rodéo notamment. Vous verrez ainsi que tout se recoupe et pourtant, chaque témoignage a été recueilli indépendamment. Surprenant, si je vous le dis !

Non ! Réécoutez l’album une seconde fois, puis une 3e avant de dire « mouais, j’sais pas, c’est pas pareil… ». Bien sûr que Rodéo est différent, dans sa conception déjà, puisqu’elle a partagé la composition avec Jean-Pierre Pilot et Philippe Paradis avec qui elle avait fait la tournée précédente. De plus, autour de ce nouvel opus, est né un concept : des clips et un court-métrage tourné en Inde par Didier Le Pêcheur avec qui elle avait également déjà travaillé. Quant aux textes, là encore, elle a fait preuve d’une nouvelle imagination… Mais laissons place maintenant aux artistes…

Pourquoi une collaboration avec Jean-Pierre Pilot et Philippe Paradis sur les compositions ? Un besoin, une envie ?
Oui, une envie. Faire un prochain album n’est pas une fin en soi. Le jour où je penserai que c’est le cas, j’espère que je serai suffisamment forte pour arrêter mon métier. C’est un métier en même temps formidable et assez dur, surtout quand on est devenu maman. Le statut de départ, le seul que je connaisse, c’est l’envie, l’enthousiasme. De plus, j’ai ce privilège énorme qu’est la liberté : une maison de disques qui me fait confiance, qui sait que j’ai une exigence et qui n’en a pas à ma place. Alors quand je leur ai dit «Vous allez rire ! Je vais essayer de composer le prochain album avec Jean-Pierre Pilot et Philippe Paradis», j’ai entendu « Pourquoi pas ? ».

J’avais déjà travaillé avec Jean-Pierre sur l’album précédent et immédiatement, j’ai eu une intuition. Ensuite, nous avons rencontré Philippe. Alors que je l’avais déjà proposé à Jean-Pierre, je me suis dit qu’on pourrait le tenter à trois. Bien sûr, il fallait qu’ils en aient envie aussi, c’était le cas ! Et puis, l’un est pianiste, l’autre guitariste, ils ont deux manières d’aborder la musique d’un point de vue technique.

A trois, il n’y a pas de «J’ai raison par rapport à toi qui as tort». C’est une histoire de goût. Ce qui nous permet de trancher quand il y a discussion, évitant ainsi l’argumentation sans fin, c’est qu’il y en ait deux qui pensent la même chose. Et ça voyage, ce ne sont pas toujours les mêmes deux qui sont contre le même un ! Et ce sont deux hommes, c’est agréable ! C’est une relation de séduction et de compétition, mais dans l’amour, pas dans un combat de coqs inutile.

Pouvez-vous nous parler d’eux ? De Jean-Pierre d’abord
Alors, Jean-Pierre Pilot qui vient d’un univers assez rock puisqu’il a travaillé pour Bashung, Brigitte Fontaine, est un homme qui a une absence de compromission. Ça me plaît ! C’est un explorateur, ce qui me plaît aussi. Du fait de son expérience – parce qu’il a un peu tout fait - il a confiance. Il est rock’n roll, pas dans le sens « j’bois d’la bière et j’prends d’la drogue ». Non, rock’n roll dans le sens où il met régulièrement les doigts dans la prise. Il s’est mis en danger, lui et sa famille, en acceptant un projet comme celui-là sans être payé pendant quelques mois. A 40 ans, c’est courageux.

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Et Philippe ?
Philippe, c’est juste exactement le contraire ! Autant Jean-Pierre est extraverti, autant Philippe est introverti, secret, c’est quelqu’un de très fin.

J’ai adoré le dernier album de Christophe, il se trouve que c’est Philippe qui en est le réalisateur. Et la guitare qui généralement a quelque chose d’héroïque et de profondément masculin, Philippe en a une version très féminine, une approche minimaliste et très climatique.

C’est un têtu de 1ère catégorie et un explorateur aussi. Schématiquement : on fait une maquette avec une boucle de son. Jean-Pierre et moi avons tendance à dire «ça le fait, on arrête là !». Philippe va continuer en disant «non, on va essayer de la refaire avec notre propre son». Il a ce côté un peu Mc Gyver et, au final, soit c’est lui qui a raison, soit nous, mais sans lui, on aurait pensé avoir terminé. Il est volontaire, comme une espèce d’illusion de fantasme absolu qui fait qu’il va peut-être trouver le détail plus original.

Le point commun ?
Le lien, c’est l’humanité, l’amitié. Intimement, cet album est mêlé à nos chemins de vie, et peut-être le fait qu’on soit parents tous les trois d’une petite fille, je ne sais pas. Mais il y a tout un tas de choses en commun qui font que le temps passé est déjà riche. Pendant une tournée, on passe plus de temps ensemble qu’avec nos proches. Une fois terminée, on aurait pu se dire «ça suffit, on va voir d’autres gens». Ça nous arrive bien sûr, mais on a eu besoin de se voir encore. Je ne scinde pas mon travail et ma vie privée. Plus c’est la même vie, moins on devient schyzophrène et plus c’est équilibrant.

Ça a dû être d’autant plus fort que vous êtes partis vous enfermer dans une maison du Luberon
Cet album est géographiquement situé. Je ne dis pas qu’on n’aurait pas fait la même chose ailleurs, ce serait forcer le trait, mais ce lieu nous a induit un comportement. Il faisait froid, on était isolés, les seuls touristes alentour étaient des moutons ! Nos familles nous manquaient, on est devenus bourrus. Au début, on papotait, à la fin, on ne parlait plus du tout. Il y en avait un qui amenait la bûche, l’autre mettait le papier journal, le troisième allumait l’allumette. Il n’y avait qu’un endroit où il y avait du feu, c’était la pièce où l’on travaillait. Il faisait donc bon y être ! Cet album est aussi le reflet de ce qui nous a manqué.

Les textes ont-ils été écrits là-bas ?
Non, le seul qui a été écrit sur place, c’est Rodéo. Les pauvres ! On dînait, ils me parlaient, mais je ne leur répondais pas, j’étais en train d’écrire… J’avais besoin de les convaincre, de leur montrer que ça m’inspirait. On s’est quittés sur le quai de la gare et ils m’ont dit «Allez, au revoir ! Bon courage, tu nous appelles quand t’en as 4 ou 5 !». Là, je me suis fait une dépression parce qu’il fallait que je sois à la hauteur de la confiance qu’ils m’avaient donnée.

J’avais pris l’habitude que l’on se partage le travail à trois. J’avais le sentiment que ça faisait beaucoup de poids sur mes petites épaules. Mais en même temps, c’est un rendez-vous personnel. Autant je sais que je peux composer à plusieurs, autant je n’ai pas envie de cette démarche dans l’écriture. Mon intimité est mon intimité. Je préfère que ce soit profondément moi qui dise les choses, plutôt que quelqu’un d’autre. La démarche d’écrire m’intéresse si elle est honnête par rapport à moi. Si c’est l’honnêteté de quelqu’un d’autre, elle ne m’intéresse pas… enfin, je n’en ai pas besoin.

Écrivez-vous en dehors des périodes de composition ?
Rien du tout ! J’ai du mal à écrire une carte postale ! Je suis une flemmarde pure race, et comme tous les flemmards, je fais un métier dans lequel on travaille comme un charbonnier, mais avec plaisir. Il n’y a donc pas cette notion de travail. Ce qui me crée cette envie, c’est la musique. Elle me donne une sensation, un ressenti. Le métier que j’ai choisi est de mettre un sens à une sensation. C’est dur parce que forcément réducteur. Lorsque vous écoutez une musique sans paroles, vous aurez envie de pleurer dans le 1er couplet, appeler votre mère dans le 2e et danser à la fin. Allez trouver un texte qui réunisse tout ça !

L’écriture, c’est souvent le résultat d’observations. Pour vous, est-ce aussi un moyen de communiquer avec vos proches ?
Oui et non. C’est vrai que de temps en temps, des chansons naissent de «Je ne t’ai pas dit totalement ce que j’avais envie de te dire» ou «Tu n’as pas écouté parce que je l’ai mal dit ou parce que j’étais en colère. Je vais te le redire avec la forme». La musique peut faire qu’on écoute mieux. Mais il y en a de moins en moins. Même les chansons qui peuvent être personnelles ou parler d’une intimité de couple s’appuient aussi sur l’expérience des autres.

La communication passe par la scène aussi. C’est important chez Zazie ?
Oui, c’est indissociable. J’aime ce travail in-vitro de la création de l’album où l’on peut avoir les cheveux gras et rester dans l’ombre. Mais personne ne se définit uniquement par l’ombre. Alors on passe à la lumière. C’est un peu risqué, un peu éblouissant et dangereux parce que ça aveugle parfois, mais c’est très agréable. C’est le seul moment où l’on a un récepteur en face de soi.

Un chiffre de ventes d’album, c’est sympa pour mon banquier, c’est sympa parce qu’on se dit qu’il n’y a pas que le cousin qui l’a acheté, mais c’est abstrait. Même si la scène n’est qu’une représentation de la réalité, il y a un côté sombre et un côté éclairé, ce n’est pas la réalité, l’échange qui se passe quand on est sur scène, lui, est bien réel, l’émotion est palpable. On voit les visages, on voit le type qui baille, on voit celui qui se marre, celui qui vibre, celui qui pleure. C’est très touchant.

C’est un échange
J’aime les concerts interactifs. Bien sûr, c’est moi qui pilote le bateau y compris sur ces concerts un peu dangereux. Les gens attendent cette prise de risques et si on ne leur génère pas ça, il peut y avoir déception. Mais un concert réussi pour moi n’est pas un concert qui répond forcément à toute l’attente du public. Ils ont envie d’écouter tel ou tel titre, je leur donne, je ne vais pas les en priver. C’est une sorte de cahier des charges qui me semble être la moindre des politesses, mais là où ça devient intéressant, c’est quand chacun répond à l’autre. Quand je me plante, j’adore le moment où quelqu’un me crie «Elle est paumée !» C’est dangereux, mais tellement sympa ! Ça veut dire qu’en termes d’individus, ils ont aussi envie de me faire partager leurs émotions.

On se donne sans se regarder faire. D’autant que dans notre métier, plus le temps passe, plus on s’écoute. On a des casques pour faire nos voix, on s’entend en temps réel. Il y a quelque chose de narcissique. Avant, les artistes s’écoutaient en faisant un tour dans la cabine du studio. De moins en moins, on ose laisser les erreurs. La scène est donc un moment privilégié.

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Bercy en 2005 ?
Oui, c’est un petit défi ! Il y a des choses bien et des choses moins bien. Mon challenge est de faire quelque chose de très humain dans une salle qui a tendance à déshumaniser justement. Ce n’est pas seulement une masse avec plus d’yeux, ça fait aussi beaucoup plus de bruit ! En fait, c’est une somme d’individus. Il est clair que le son n’est pas le même que dans un théâtre, mais je ne vais pas me l’interdire puisque je ne l’ai jamais fait. C’est rigolo d’essayer ! Et j’ai vu, rarement, mais vu quand même des énormes scènes avec des écrans géants qui ont amené l’envie de dire à son voisin «T’as vu, le chanteur m’a parlé personnellement à ce moment-là !» J’adore ça ! Je pense que c’est possible.

Vous avez tourné des clips en Inde. Pouvez-vous nous en parler un peu ?
J’ai réussi à faire venir Jean-Pierre et Philippe prétextant qu’ils étaient indispensables dans un clip ! Je voulais qu’ils partagent un peu ça. Ils sont restés une petite semaine, moi trois grosses semaines, Didier Le Pêcheur un mois, le producteur deux mois.

Un choc. C’est un pays très dense, tant par la population, que par les émotions et la profondeur. C’est un pays dense et léger à la fois, c’est très curieux. On est tout le temps dans l’émotion. En tant qu’occidental, on a le cœur au bord des yeux en permanence. On oscille entre «arrêtons» et «adoptons-les tous». La force, le lien qui nous a permis de continuer, c’est le travail.

C’est une population qui englobe la mort dans un schéma de vie, c’est très dur. Ce sont les gens les plus spirituels que j’ai rencontrés. C’est vrai qu’ils ont des choses pour les aider du genre «Ce sera pour la prochaine vie…». Nous, si on arrive à faire celle-là, on est content. Ils ont un sens de la famille extraordinaire. Il y a des maltraitances qui malheureusement sont à la hauteur de ce qu’ils vivent (les femmes brûlées…), mais en pourcentage par rapport à la densité de la population, il n’y en a pas tant. J’ai vu des femmes au bord de l’agonie avec des enfants dans le même état qui souriaient. Elles éclataient de rire quand je leur montrais un polaroïd.

C’était le pays où il fallait aller et je remercie Didier, même si je pense qu’il n’avait pas forcément englobé la totalité du schéma de ce qu’on allait voir. Pour lui, c’était Bollywood en termes de réalisateur : aller dans la première industrie du cinéma au monde.

Qui est Didier Le Pêcheur ?
Didier s’exprime de 3 façons. Le clip (il vient de la pub) : il sait synthétiser son langage. Les longs-métrages : il a une espèce d’insouciance qui fait que s’il y a un problème, ce n’est pas très grave étant donné les budgets énormes qu’il a à gérer et le temps dont il dispose. Le troisième, et ça, on le sait moins, c’est l’écriture. Il a écrit trois livres il y a une dizaine d’années.

En plus de toutes ces cartes, il a ce truc en commun avec Jean-Pierre et Philippe : on se connaît. On s’aime, on s’apprécie, je ne serais pas partie en Inde avec un inconnu. Je sais qu’il a cette lucidité dans le travail et un profond respect des gens. C’est un directeur de comédiens hors paire qui, face à la barrière de la langue, a su faire preuve de pédagogie. Et Didier est joueur, exigeant, il a bon caractère, c’est un épicurien !

C’était bien que je le fasse avec lui parce qu’un pur réalisateur de clips aurait éclaté en sanglots au bout de six jours !

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Un mot de Didier Le Pêcheur
Bollywood, c'était un rêve de réalisateur, on l'imagine aisément. Etait-ce aussi un défi, un pari ou une inspiration pour et avec Zazie précisément ?
C'était un défi. En lançant l'idée, j'étais à cent lieues de m'imaginer que ça se concrétiserait. Et puis, sans le savoir j'ai frappé juste en prononçant le mot «Bollywood», elle s'est jetée dessus. Il a bien fallu aller jusqu'au bout. C'était très ambitieux et risqué, on partait en terra incognita. Je ne l'aurais jamais tenté avec quelqu'un d'autre, parce que je savais que je pouvais compter sur elle pour intégrer les inévitables galères qui nous tomberaient dessus avec humour, philosophie et volonté. On était tous dans le même bateau.

Quelles ont été les conditions de tournage ?
Les conditions étaient difficiles, non à cause du pays (les Indiens savent faire du cinéma au moins aussi bien que nous, les techniciens sont excellents)n, mais du rythme imposé par le budget, toujours limité, pour les clips en France. Chaque clip a été tourné en une journée, sauf Rodéo en deux jours. Nous enchaînions à chaque fois deux ou trois clips d'affilée. Mumbai (Bombay) est de plus une ville très difficile et dense où le moindre déplacement se chiffre en heures. Quelques différences culturelles, aussi, ont compliqué un peu les choses. Il a fallu par exemple expliquer clairement et en détails à nos amis Indiens le pourquoi du comment de chaque chanson et de chaque clip : pour eux, grosso modo, un clip c'est un chanteur et des danseurs filmés de préférence dans un paysage exotique (la Suisse, ils aiment bien), point final. Mais le plaisir de concrétiser ce rêve était tel que nous n'avons pas réellement souffert : c'est quand même mieux que de se retrouver à la Plaine St Denis, comme dirait Zaz.

Que pouvez-vous nous dire de Zazie dans ce contexte de tournage ?
Que du bien. Si on veut lui trouver un défaut, il faut demander à celui qui partage sa vie, peut-être qu'en cherchant bien il trouvera, mais dans le travail, c'est un pur bonheur. D'abord parce qu'elle est -et a toujours été- une grande pro, ensuite parce que pour elle aussi, être là-bas et réaliser ce projet, était à la fois un enjeu très important autour de son nouvel album et un pur plaisir. Depuis que je bosse avec elle, ça a toujours été un échange. J'apporte une idée, elle l'achète tout de suite ou bien elle me fait une contre-proposition. Je l'achète ou bien je lui fais une contre-contre-proposition et on finit à un moment par se regarder et se dire : «alors là d'accord». Pendant le tournage, un clip comme Toc Toc Toc a changé vingt fois de concept, jusqu'à quelques jours à peine du tournage. On s'arrachait les cheveux ensemble, c'était flippant mais très stimulant aussi. Et puis, et surtout : elle n'a pas peur d'y aller. Souvent, je ne lui fournis que quelques indications, je la lâche en roue libre et je sais qu'elle va en donner vingt fois plus à la caméra. C'était le cas, par exemple, pour Rodeo : je savais que je pouvais compter sur elle. On le voit très bien dans la prise en intégralité que j'ai mise en bonus sur le DVD : c'est elle qui fait l'image, je me contente de lui en donner l'idée, puis de l'enregistrer.

Vous aviez déjà travaillé avec Zazie. La fidélité artistique, c'est important pour vous ?
Oui, évidemment. D'autant que c'est rare. Mais en même temps, il ne faut pas trop se scotcher l'un à l'autre, parce qu'au bout d'un moment, on s'use. Zazie m'a été infidèle pendant quelques clips, et ça a été bon de se retrouver. Et puis un clip, c'est d'abord l'image d'un artiste, avant de refléter éventuellement le style de son réalisateur. Il est normal que l'artiste veuille varier les plaisirs. Bon, ceci dit, Zaz, pour le prochain, c'est quand tu veux...

Jean-Pierre Pilot / Philippe Paradis : un mot chacun !
Jean-Pierre Pilot
Zazie m’a beaucoup parlé de vous… !
C’est une gentille question !

… Pouvez-vous me parler de la façon dont vous avez travaillé tous les trois ?
On est partis dans le Lubéron avec rien. La seule chose qu’on avait, c’était le matériel dont nous avions vérifié l’état, vu s’il était ludique, parce que nous voulions enregistrer immédiatement tout ce qui pouvait sortir de nos têtes. On a gardé 70 à 80 % de ce qui a été fait là-bas. C’est toujours comme ça, il y a des moments magiques et si on peut les garder, c’est bien ! Ça bougeait beaucoup, Zazie venait au clavier, chantait. Philippe était à la programmation ou à la guitare… C’était très ouvert et vraiment improvisé.

Composer à trois a-t-il été une évidence ?
On s’applique à écouter et à être respectueux de ce que fait l’autre. Si la personne à côté fait la même chose pour vous, on avance. Quand on est seul, on peut passer à côté d’un détail intéressant. A trois, il y en a toujours un pour l’avoir entendu et rebondir. La musique est une histoire de respect, sinon, on ne fait pas de la musique ensemble, mais la guerre !

Qu’avez-vous ressenti à la première écoute des textes ?
Ça a été un moment intense, émouvant. En plus –la pauvre- juste avant de rentrer à la maison, on s’était fait un CD et j’ai dit «Ha ! au moins là, je sais qu’on ne sera pas trahis par les textes…» Sans le vouloir, je lui ai mis la pression, elle nous l’a avoué après ! En fait, en venant nous les faire écouter, elle avait presque plus le trac que nous. Quand elle a fait Lola Majeur, J’arrive, La pluie et le beau temps, La Dolce Vita… On pleurait, on était complètement submergés par l’émotion. C’est agréable de travailler avec un auteur, un vrai. De plus, jamais ses textes n’ont été plus personnels, malgré le fait que nous ayons composé ensemble.

Zazie dit «Le lien entre nous, ça a été l’humanité, l’amitié et un chemin de vie». Elle a tout dit ?
Pratiquement. J’ajouterai que je suis sorti épuisé !

Philippe Paradis
Dans quel état d’esprit étiez-vous avant de vous retrouver tous les trois ?
On avait une espèce de fantasme de ce qu’on voulait faire ensemble, mais on s’est laissé aller et il en est sorti autre chose. Ça nous a déstabilisés au début, mais on ne s’est pas posé de question, on s’est lancés dans l’aventure. Ce n’est déjà pas évident de composer seul, mais à trois, c’est un exercice particulier. Ça peut démarrer sur n’importe quoi. Il faut être à l’écoute pour réagir de suite et rebondir.

Et après ?
On est partis un mois avec l’idée de faire un maximum de chansons et de se donner rendez-vous ensuite, parce que ce n’était gagné pour personne. On l’a vécu avec l’acceptation que ça puisse ne pas fonctionner.

En rentrant, j’étais peut-être la personne la moins attachée à ce qui avait été fait en Provence. Je parle ici de la production, de ce qui se passe après la composition des chansons. En composant, on «pré-produisait» déjà puisqu’on avait un studio mobile avec nous. J’étais prêt à casser un peu le truc, à le tordre pour en faire autre chose. Jean-Pierre et Zazie étaient plus sentimentaux. Nous étions complémentaires finalement et nous nous sommes rejoints. J’insiste sur le fait qu’il s’agit de la phase de production, et non de création !

Qu’avez-vous ressenti à la première écoute des textes ?
Zazie ne nous a rien fait lire avant. Elle s’est pointée au studio, on a branché un micro et on a commencé à faire des voix témoin. Quand elle a interprété Lola Majeur ou J’arrive, on était bouleversés. J’étais content aussi parce que je sentais qu’il y avait une prise de risques par rapport aux textes précédents, sans slogan ni jeux de mots. Je pense aussi que c’est au moment où elle a écrit les textes qu’elle s’est réellement appropriée les chansons. Elle s’est peut-être rendu compte que c’était l’album le plus intime. C’est un vrai auteur, il n’y en a pas énormément en France.

Que retenez-vous de cette aventure ?
En ce qui me concerne, je crois que ça a été le projet le plus intense et le plus abouti. Rien n’a été travesti. Il n’y a pas eu de concessions et tout a été fait ensemble, jusqu’au bout du mixage, du mastering. L’ambiance faisait qu’on n’avait pas envie de décevoir l’autre. Zazie est quelqu’un qui naturellement génère ce genre de choses. Elle est humaine, généreuse et remplie de talents différents. J’ai eu l’impression d’avoir en face de moi une artiste à part entière, incontournable.

Zazie nous parle de ses albums
Je, Tu, Ils
Je dois tuer quelques démons, c’est le début d’une «psychanalyse». Je fais des règlements de compte à la OK Coral du style «Toi, j’avais envie de te dire ça !». L’album était très revanchard. J’avais sûrement besoin de passer par cette étape pour pouvoir me dire Bon, ça c’est fait, je fais quoi maintenant ?

Zen
C’est un pas vers ce que l’on aimerait être, mais qu’on n’est pas. C’est également donner une direction à sa vie plutôt que de se faire mener par elle. Malheureusement, ce n’est pas encore ça ! C’est le 2e album, donc la musique est devenue un travail. Qui dit travail, dit recherche, un début d’expérience.

Made In Love
C’est le droit au fantasme. Musicalement, ma culture est plutôt anglo-saxonne, j’adore les grosses guitares, mais ma voix est un paradoxe vivant par rapport à elles. C’est sûr qu’à côté d’un ampli Marshall, on ne va pas m’entendre ! J’avais envie de jouer de ce paradoxe. Je me suis donc entourée de gens comme Pierre Jaconelli, qui venaient d’un univers rock et qui avaient envie d’essayer ce côté fille à la vanille avec des guitares chocolat.

La Zizanie
C’est une fausse zizanie, une petite révolution intérieure. Il y a des choses qu’on s’interdit en se disant qu’on n’a pas le savoir-faire. J’avais envie de mettre un orteil vers la techno. Je l’ai fait avec beaucoup de maladresses et de naïveté, mais je me suis dit qu’après tout, la variété c’est aussi ça. Ce sont des chansons variées ! J’ai essayé d’injecter des choses un peu nouvelles dans cet album. Accepter d’être débutant, c’est le début de l’honnêteté. Je préfère générer quelque chose qui est un peu maladroit parfois, mais dans lequel je ne m’interdis pas de faire ce qui me plaît.

Rodéo
Je ne sais pas, c’est à vous de me le dire ! Ce que je sais, c’est que je suis contente de cet album… Cela dit, j’étais très contente des autres quand ils sont sortis !

Propos recueillis par Maritta Calvez en décembre 2004 (magazine MusicView n°1)

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