C’est bien avec audace et détermination qu’Agnès écrit des textes tant en croquant des sujets irrésistibles comme l’âge de la trentaine par exemple, qu’en allant au-devant de sujets délicats comme le viol. Et la magie de son interprétation fait que nous gardons le sourire. Le fil, c’est la vie !
Adolphe Léon Willette, illustrateur en vue à la fin du XIX siècle et grand ami de Francisque Poulbot, se trouve être l’arrière-grand-père d’Agnès Bihl. Sa grand-mère, elle, était un peintre maudit « qui a crevé de faim toute sa vie ». Sans aucun doute, cette Montmartroise pure souche porte en elle sa « mythologie familiale » basée sur Le Chat Noir, le french cancan, les dessinateurs errant dans les rues, bien qu’elle ait été élevée par des parents plus intellos qu’artistes, lui ayant inculqué un sens aigu de l’observation.
Sans oublier vos textes drôles comme 13 ans ou À ton mariage, on remarque le thème de l’inceste car il n’y a pas tant de chansons qui l’abordent.
Oui, c’est sûr. C’est une chanson toute nouvelle que j’ai rodée au Théâtre du Renard. Elle a été relativement dure à écrire et est assez dure à chanter aussi. Comme Viol au vent sur le premier album, ce sont des chansons qui ne sont pas évidentes à porter. Les deux aspects sont importants et font partie de moi : la chanson légère et la chanson très dure, que je traite avec la même foi.
Est-ce de la chanson engagée ?
Je ne sais pas très bien ce que cela veut dire... Si l’on est engagé par rapport à la vie, par rapport à ce que l’on croit, par rapport à une volonté de ne pas être neutre, d’ailleurs le simple geste de prendre un stylo et de monter sur scène est déjà un acte engagé je trouve, alors oui, mes chansons sont humainement engagées. Si c’est au sens militant, non, parce que j’aurais l’impression d’exploiter un filon. Il y a des choses qui m’énervent et je le dis. Tout comme la chanson féministe. Si c’est parce que je suis une femme et que je profite de la chance que j’ai de pouvoir m’exprimer sans me faire balancer de l’acide sur le visage, alors oui, je suis féministe. Si je suis énervée parce qu’il y a des pays où la vache est sacrée et la femme ne l’est pas, alors oui, je fais de la chanson féministe. Mais si c’est au sens MLF du terme, non.
Sans être une question féministe d’ailleurs, est-ce plus difficile d’arriver à s’imposer lorsqu’on est une femme ?
Je vais juste relater une observation que j’ai faite. Sur scène, je précise de manière relativement pataude et lourde que c’est moi qui écris toutes mes chansons. Je déteste faire ça, mais je le dis systématiquement car si je ne le fais pas, il y a toujours quelqu’un qui vient me voir pour me demander qui est mon parolier. Quand Sanseverino chante, par exemple, il est tellement impliqué dans son univers qu’il est évident que ça vient de lui. Eh bien moi non... Mes chansons ont pourtant bien le regard d’une femme. Je crois que ça répond à votre question !
Parmi vos rencontres, deux ont été très marquantes : Allain Leprest et Anne Sylvestre.
Oui, ce sont deux rencontres déterminantes pour moi. J’ai écrit ma première chanson le jour où j’ai vu Allain Leprest sur scène. J’ai découvert que la chanson, ce n’était pas seulement Brel, Brassens, Aznavour, Barbara, Renaud, Higelin, Thiéfaine, j’en passe et des meilleurs... mais que ça pouvait être dans un petit lieu. Là, c’était à La folie en tête, un bar de la Butte aux Cailles à Paris. Son écriture et sa présence m’ont fait un choc. J’ai réalisé que c’était une aventure qui existait encore, que ce n’était pas forcément quelque chose d’irréalisable, mais au contraire d’accessible.
Je me suis donc lancée et, très vite, j’ai rencontré Anne Sylvestre. Elle a été fabuleuse. Elle est venue me voir dans la cave du Limonaire et m’a embrassée en me disant : « Tes textes sont fabuleux, si tu as besoin de quoi que ce soit, voilà mon numéro de téléphone, n’hésite pas. » Le fait est que quelque temps plus tard, je faisais le Sentier des Halles et lui ai demandé de me marrainer, chose qu’elle a faite. Ensuite, elle m’a prise en première partie à l’Auditorium de Saint-Germain.
Il y a deux, trois ans, j’étais un peu dans le creux de la vague. Je venais d’accoucher et, souvent, les professionnels croient qu’on a des gestations de mammifères marins [rires !]. « Elle est enceinte, ça va durer trois ans...» J’avais l’impression d’avoir été oubliée. Elle m’a appelée pour savoir comment j’allais. Nous avons passé une soirée entière toutes les deux, je lui ai montré ce que je venais d’écrire, elle m’a vraiment redonné courage ! Et puis, en la voyant tous les soirs des coulisses de l’Auditorium, j’ai énormément appris. C’est une rencontre à la fois artistique et humaine. Anne Sylvestre est une grande dame de la chanson.
D’autres rencontres, comme celle de Giovanni Mirabassi, votre compositeur.
Nous nous sommes rencontrés dans un bar. Je débutais dans la chanson et lui, qui est un jazzman réputé, m’a composé des musiques car il adore la chanson. Maintenant, il y a Nicolas Montazaud qui a réalisé l’album Merci maman, merci papa. Il a composé 50 % des nouvelles chansons. C’est Gérard Davoust, mon éditeur, qui me l’a présenté. Au début, c’était juste pour la réalisation de l’album, mais la rencontre a été tellement riche humainement et professionnellement parlant que Touche pas à mon corps, par exemple, c’est Nicolas qui l’a composée.
Alors, c’est intéressant cette rencontre via un éditeur, parce que voilà un métier dont on ne parle pas beaucoup.
J’ai la chance et le bonheur d’avoir un éditeur qui fait son métier d’éditeur ! Quand j’écris des textes, je les lui lis, parfois il a des réflexions à faire, mais généralement pas. Parfois, je bloque sur un sujet, j’en parle pendant des heures au téléphone avec Gérard. Il ne me dit jamais comment prendre les choses, mais il me fait parler et avancer. Cette année, j’ai beaucoup plus écrit et je dois dire que Gérard Davoust y est pour beaucoup parce que j’ai un interlocuteur présent et passionné, qui est à la naissance même des chansons.
Lorsqu’on vous écoute, vous ne parlez pas de spectacle, encore moins de concert, mais de « tour de chant ». Pourquoi ?
C’est vrai oui, je n’avais pas remarqué... J’écris pour la scène. La scène et l’écriture sont vraiment les deux choses qui me remplissent. Mon tour de chant est assez construit, il a une évolution, un fil qui, en tout cas pour moi, évoque quelque chose. J’espère que pour le public, c’est réciproque. Et puis, je viens de la mythologie Aznavour, Brel et Piaf qui donnaient de vrais tours de chant. J’ai l’impression de faire un tour de mes chansons... Mais je ne suis pas très claire là-dessus parce qu’effectivement, c’est votre réflexion qui m’en fait prendre conscience. À suivre, je vais gamberger !
Un mot sur le prix Révélation de l’Académie Charles Cros que vous avez reçu en novembre dernier ?D’abord, il est mythique, même Higelin le cite dans une de ses chansons ! Mais je suis contente parce que je parlais d’aventure humaine tout à l’heure. C’est le disque qui a reçu ce prix, donc on se le partage avec tous ceux qui y ont collaboré, les musiciens, l’ingénieur du son, le mixeur. Bien sûr, je ne fais pas ma modeste, ce sont mes chansons et c’est moi qui chante, mais c’est la somme de toute cette aventure.
C’est fabuleux de voir qu’il y a une caution du métier sur la foi que des gens peuvent avoir en moi, Gérard Davoust, Nicolas Montazaud, Naïve ma maison de disques, Azimuth mon tourneur. C’est très rassurant. Et puis, c’est mon seul diplôme !
Propos recueillis par Maritta Calvez en janvier 2006 (magazine Chanson Mag n°2)