Au début, vinrent les machines afin de créer un genre nouveau de musique. Puis les logiciels s’installèrent via l’ordinateur et prirent le contrôle absolu du home studio. Près de trente ans après cette révolution musicale, le musicien en sort-il réellement vainqueur ?
Car, si l’on part du constat que l’on peut mélanger le hardawre et le software ou bien que chacun travaille comme il l’entend, on ne peut nier que l’informatique musicale a bouleversé le paysage du home studiste ces dix dernières années.
Retour aux sources
Pour ceux qui démarrent la musique de nos jours directement avec la MAO, il est certain que passer à une solution matérielle peut sembler aberrante pour ne pas dire incongrue. Car il est vrai que l’on prend vite des habitudes et délaisser sa souris, la gestion de l’audio sur l’ordinateur, voire même l’ordinateur peut être déroutant. Je ne parle même pas de modifier des sons directement sur un synthétiseur physique, là on frise le scandale.
Et pourtant… de tout temps, le rapport à la musique était à la base physique, c’est-à-dire que l’on ressentait, l’on vibrait avec son instrument. Si cela est d’autant plus vrai pour des instruments à cordes ou à vent, concernant le synthétiseur on pourrait qualifier cet état de plus froid. Il n’en est pourtant rien, car qu’on le veuille ou non, le synthétiseur est un instrument à part entière, qui peut certes imiter tous les autres instruments, mais également concevoir des sons originaux et uniques.
Sa maîtrise demande tout autant d’apprentissage et d’abnégation que pour le piano ou le violoncelle mais demande en plus de la technique de jeu, l’apprentissage de son utilisation, c’est-à-dire savoir naviguer dans ses paramètres, utiliser les molettes de Pitch-Bend et de Modulation et savoir le configurer dans son setup de home studiste.
Synthétiseur : un instrument complexe
En plus des éléments cités plus haut, on peut également considérer un appareil électronique comme unique, tout comme un piano. Certes, avec un peu plus de similitude entre eux que les pianos, mais du fait de variations de fabrications qui englobe une telle quantité de paramètres, il est courant qu’un synthé sorti d’usine en fin d’année regroupe en son sein de nombreux composants différents de son homologue sortie d’usine en début d’année.
Au final, on peut se retrouver avec des variations (même infimes) au niveau sonore. Un exemple frappant est l’expandeur Roland MKS-80 qui existe en deux versions. L’une baptisée REV 4 et l’autre REV 5. On se retrouve avec deux clans d’aficionados, prêchant chacun pour son filtre préféré. Le Roland JX-3P possède également plusieurs versions : l'une avec 2 prises MIDI et l'autre avec 3 connecteurs.
Passionné des sons Roland entre 1980 et 1989 et tout particulièrement pour les séries MKS et JX, j’ai eu en ma possession de nombreuses machines de la marque. Parfois deux identiques et parfois un clavier et sa version rack. C’est notamment le cas du JX-3P (clavier) et du MKS-30 (expandeur).
Je me suis amusé à programmer le même son sur deux claviers et un expandeur. Les résultats sont assez amusants mais demandent néanmoins une certaine « oreille ». Entre les deux claviers, on pouvait noter qu’un JX offrait un son plus « chaud » tandis que l’autre tirait légèrement vers le « métallique ». Enfin, le rack semblait procurer un effet que je qualifierais de « pop » dans les aigus. À 95 %, le son de ces trois machines était équivalent mais... mais... mais... les 5 % restant faisaient la différence.
Et maintenant le software
Pourquoi parler autant du synthétiseur alors que le sujet de ce texte est justement la confrontation logiciel/matériel ? Parce que justement, toute l’explication vient de cette passion à parler d’un instrument. Qui pourrait parler des heures d’un logiciel, hormis décrire ses caractéristique pendant quelques minutes ?
Un synthé, on en prend soin (enfin pas tous, vu les carcasses que j’ai parfois aperçues dans des studios… hum), on le prend parfois en photo, on le balade à des concerts, des soirées et cela nous laisse des souvenirs, on le revend pour en acheter un nouveau.
Et le logiciel ? Qui le prend en photo, qui en prend soin et qui le revend au bout de deux ans car il ne vaut généralement plus rien ? Pas grand monde. Le logiciel est virtuel. Il tient sur un CD ou DVD, s’installe une fois dans son ordi et après on l’utilise. Il n’y a plus ce rapport physique avec l’instrument. Et dorénavant, il n'est même plus physique. Par exemple, la dernière version de Logic Pro (la X) n'est disponible qu'en téléchargement sur l'Apple Store. Un destin qui suit celui des morceaux de musique : le CD disparaît au profit du téléchargement. La dernière barrière physique vient de sauter - désormais, nous entrons de plein pied dans le monde du virtuel.
Le lien entre l'humain et la machine ne se fait désormais qu’avec le clavier et surtout la souris.
Souris donc !
Eh oui, la souris, magnifique invention que l’on doit à Xerox, puis repris habilement ensuite par Apple. Le moyen pour l’homme de se mouvoir au sein de l’ordinateur de manière plus rapide que le clavier, mais pas forcément mieux que le crayon optique. Invention pratique, périphérique incontournable (encore que le Trackpad a ses avantages sur les ordinateurs portables…) mais c’est un véritable « tue la musique » que l’on a fabriqué.
Je vais passer pour un "vieux" mais je reste attaché au « contact » dans la musique. Je préfère cent fois tourner un potentiomètre avec mes petits doigts que de cliquer sur une représentation de potar dans un logiciel.
De même, rien de plus pénible que d’aller dans un sous-sous-menu d’un mini-écran de console numérique afin de donner un peu plus de gain à un effet. Je préfère tourner le bouton dédié de ma console même si cette dernière fait deux mètres de largeur afin d’avoir mes 56 pistes plutôt que de commuter une énième fois sur le bouton switch dédié de ma numérique qui n’a qu’une tranche de seize pistes. C’est comme ça, on ne se refera pas.
Contrôle
Mais, je reste persuadé que le contact humain demeure essentiel dans la création musicale. D’ailleurs, il suffit de voir le nombre d’interfaces de contrôle avec moult potentiomètres et boutons qui sont sur le marché, ainsi que les claviers de commande qui intègrent des fonctions similaires pour se rendre compte de l’intérêt du public.
De même, pour continuer sur ma comparaison entre logiciel et matériel, je parlais des différences de sons entre deux machines identiques. Je doute qu’entre deux logiciels on obtienne une réelle différence sonore.
Le soft a du bon
Toutefois, je ne suis pas un intégriste nostalgique des machines. J’aurais l’air malin après avoir tant vanté les mérites de l’informatique musicale au travers de nombreuses revues dédiées. Non, j’ai simplement une préférence en la matière, que je tente d’expliquer.
J’ai suivi la technologie et je suis passé aussi à un moment au quasi tout-en-un informatique. C’est vrai que cela a de bons côtés : énorme gain de place, on peut emporter avec soi son studio grâce à un portable, une interface et un clavier auto-alimentés, ainsi que les caractéristiques propres aux logiciels : capacité de stockage (et de sauvegarde) illimité, vaste bibliothèque sonore, programmes gratuits performants, gestion de l’audio extraordinaire, puissance des synthétiseurs et effets virtuels…
Et c’est sans compter sur le coût des produits. Un Yamaha DX7 virtuel coûte dix fois moins cher que son homologue clavier de l’époque, avec en plus une polyphonie étendue et une capacité de stockage sans commune mesure.
Le seul hic pour l’instant reste qu’il faut un ordinateur extrêmement puissant aussi bien en ressource processeur qu’en RAM et que si l’on s’aventure à vouloir faire cohabiter plusieurs programmes avec des cartes DSP et des interfaces USB ou FireWire, il y a de fortes chances de s’arracher les cheveux avec les problèmes de compatibilité, de mise à jour et de bugs des différents produits. Il faut donc s’armer de patience et avoir de sérieuses notions d’informatique. Sans compter les changements de connectique, comme par exemple les derniers Macintosh qui utilisent désormais des ports Thunderbolt à la place du FireWire (et obligent ainsi à acheter un adaptateur, ajoutant un paramètre de plus au niveau d'un possible dysfonctionnement).
L’avenir
Il est difficile d’envisager un retour en arrière, tant l’informatique et Internet sont impliqués dans notre vie de musicien. Chacun choisira sa manière de travailler en fonction de ses besoins, ses habitudes et ce qu’il a envie de faire.
Même si le sampling se fait dorénavant sur ordinateur, cela ne m’a pas empêché d’acheter un Akai S1000, ainsi qu’un K2000R. Par nostalgie, par envie, par besoin ? Peut-être les trois ? Quoi qu’il en soit, mon prochain studio en cours d’aménagement sera à plus de 70 % composé de machines entre les années 80 et 95 avec une grosse console analogique pleine de potard a trituré. Qu’on se le dise !
Dossier réalisé par Ludovic Gombert