En 1988, Jean-Michel Jarre a composé un album sur les révolutions. Bien placé pour en parler, car étant de la partie, il a utilisé et parfois devancé les autres avec les nombreuses révolutions de la technologie musicale de ces trente dernières années. Retour vers le futur…
Il est parfois intéressant de faire un bref retour en arrière pour se rendre compte de la formidable (r)évolution qui a bouleversé le paysage musical. Cela peut donner l’impression que c’était hier - ce qui n’est pas faux car ce n’est pas encore si loin de nous - et pourtant, quel chemin parcouru.
Première révolution
La première révolution est sans conteste l’apparition du synthétiseur. Machine diabolique à ses débuts où nombreux étaient ses détracteurs qui ne voyaient en lui qu’un « gadget » et non un véritable instrument de musique.
Il faudra la persévérance de constructeurs comme Bob Moog et la « vulgarisation » de la musique issue de synthétiseurs dans les années 70 avec par exemple Jarre, Vangelis, Kraftwerk, Tangerine Dream pour faire entrer cet instrument dans le langage musical courant.
Chacun voit MIDI…
Au début des années 80, alors que les synthés commençaient à peine à infiltrer les compositions musicales des Charts, l’apparition de la norme MIDI a fait exploser le secteur en permettant enfin à des machines de communiquer facilement et surtout de manière fiable entre elles.
Cela a donné naissance à une flopée de synthétiseurs mythiques comme le Yamaha DX7, le Roland D-50 ou encore le Korg M1 (les trois appareils les plus vendus de tous les temps). En parallèle est arrivée la New Wave et les productions musicales à base de synthés ont squattés le Top 50 durant pas mal d’années.
Et l’audio arriva
Mi-80 jusqu’à début 90, c’est l’audio qui a insufflé une nouvelle révolution avec notamment la démocratisation du sampling grâce à des marques comme Akai ou Roland. Avec des prix élevés certes mais relativement abordables, le home studiste lambda pouvait enfin reproduire chez lui les cordes du Philharmonique de Berlin ou la guitare de Van Halen. Entre un Fairlight CMI (sampleur mythique) à 300 000 Francs et un Akai S1000 à 30 000 F, le calcul était rapide. Citons également les Emulator de chez E-mu, autres instruments de légende à des prix « raisonnables ».
Les premiers Direct-to-Disk multipistes firent ensuite leur apparition avec toujours comme chef de file Akai (avec les séries DT) et les workstations/sampleurs fleurirent. C’était le bon temps où l’on était fier de ses 30 secondes maximum de sampling à 16 bits / 44,1 KHz que l’on optimisait au maximum car la mémoire RAM était comptée (et chère !).
L’informatique débarque
Et puis, en parallèle, tandis que les instruments électroniques progressaient, l’informatique évoluait à vitesse grand V. Bien sûr, il existait l’Atari ST qui occupait plus de 90 % du setup du home studiste, mais la marque ne sut pas assez se renouveler ni faire face à la rude concurrence des PC et des Macintosh. Ce dernier devint l’ordinateur de prédilection des musiciens dès la fin de l’Atari.
Le PC combla rapidement son retard ce qui fait que désormais, l’informatique musicale se trouve ainsi partagée : pour les professionnels 70 % Mac et 30 % PC et pour le grand public 80 % PC et 20 % Mac.
Quoi qu’il en soit, à partir de la moitié des années 90 et jusqu’à maintenant, l’informatique musicale a été le plus gros bouleversement. J’ai pu sentir ce mouvement au plus près puisqu’en 1999 je lançais la version française du magazine anglais Computer Music (le titre parle de lui-même). Énorme succès qui comblait une large attente des utilisateurs qui commençaient à être désorientés par les nombreux changements.
Car, il faut bien le dire, on peut désormais tout réaliser avec un ordinateur : séquenceur, sampling, MIDI, effets, mixage, masterisation, instruments virtuels, arrangements, partitions, apprentissage musical. L’ordinateur est devenu le nerf central du studio à partir duquel tout s’articule.
De l’information en masse
Or, si l’on fait un parallèle entre l’évolution de l’instrument qui nous concerne, c’est-à-dire le clavier, on note une augmentation exponentielle des capacités du musicien à « dompter » sa machine. Explications. En premier lieu, prenons la technique de base qui consiste à jouer. Quel que soit l’instrument, vous devez apprendre à jouer, c’est-à-dire posséder un minimum de solfège mais également une technique de jeu de l’instrument.
Pour un piano, en plus de savoir jouer, vous devez apprendre à utiliser le pédalier, et c’est tout (ce qui n’est déjà pas si mal). Avec un synthétiseur, vous allez, en plus du jeu et du pédalier, apprendre à maîtriser son fonctionnement, plus ou moins complexe suivant les modèles. Pour résumer : tout ce qui est navigation dans les menus et paramètres mais également les principes de synthèse sonore pour créer de nouveaux sons, le sampling (avec la prise de son), l’utilisation des effets, le jeu avec le pitch bend et la modulation, etc.
Maintenant, transposez cela à un ensemble de plusieurs appareils, tous différents, si vous avez les moyens de vous concocter un "maousse" home studio : cinq ou six claviers, une douzaine d’expandeurs en rack, quelques boîtes à rythmes, des racks d’effets, une table de mixage, un magnétophone, etc. Autant d’appareils qui demandent une maîtrise différente plus une expérience pour arriver à les faire cohabiter ensembles, pour qu’ils fonctionnent au doigt et à l’œil, avec le moins de bugs possible.
Et pour couronner le tout, ajoutez à cela l’informatique, avec la maîtrise du (ou des) logiciel(s) et surtout le système d’exploitation (Windows, Mac OS ou Linux) qu’il vaut mieux connaître parfaitement si l’on ne veut pas se retrouver bloqué avec les incompatibilités et bugs récurrents.
Le musicien d’aujourd’hui et de demain
Le musicien d’aujourd’hui ne doit plus simplement se contenter de savoir jouer de la musique, il doit également maîtriser parfaitement toute la chaîne du home studio et avoir des connaissances en audio, mixage, prise de son et informatique. Et ne parlons pas d’électronique si l’envie lui prend de bidouiller un peu son matériel.
Si cela ne suffisait pas, l’invasion d’Internet dans notre vie courante a bien sûr eu des répercussions sur la musique. Mettons de côté l’aspect MP3 et piratage et concentrons-nous uniquement sur le système Internet.
Être présent sur le Web pour un artiste est désormais primordial. En dehors de l’adresse mail indispensable, un site en forme de vitrine permet de se faire connaître à travers le monde pour un prix modeste, voire nul pour des prestations de base. Le phénomène des réseaux sociaux est un exemple frappant où une vaste communauté de musiciens est présente. Je connais d’ailleurs plusieurs musiciens qui ont leur page, presque à contrecœur car le concept ne les séduit pas, mais simplement parce que c’est désormais un passage obligatoire.
Le musicien d’aujourd’hui doit donc s’adapter à cette nouvelle révolution, car cela en est bien une. Cette fois non pas une nouvelle manière de travailler ou composer la musique mais de communiquer et promouvoir son talent.
Dossier réalisé par Ludovic Gombert